Coronavirus : comment les médias ont-ils adapté leur offre éditoriale ? Trois exemples romands

30 avril 2020 • Formats et pratiques, Innovation et numérique, Récent • by

L’actualité a été presque entièrement monopolisée par le virus et ses implications. Image: AS.

Alors que la crise sanitaire monopolise l’actualité, les médias ont dû adapter leurs pratiques et leurs contenus. Pages spéciales, cartes et graphiques interactifs, nouveaux podcasts, émissions montées en quelques jours, ou encore newsletters dédiées : les formats déployés sont nombreux et innovants. EJO s’est intéressé à trois médias romands (Le Temps, la Radio Télévision Suisse et Heidi.news) et décrit les changements qu’ils ont opérés suite à cette crise.

La pandémie de Covid-19 a bouleversé tous les pans de la société, y compris le secteur de l’information. Le fort impact de la crise soulève toute une série de questions. Les enjeux liés au télétravail, l’augmentation des audiences et l’effondrement des recettes publicitaires en font notamment partie.

Au-delà de ces éléments, la crise a aussi et surtout modifié les contenus des médias d’information. D’un côté, l’actualité a été presque entièrement monopolisée par le virus et ses implications. De l’autre, l’annulation de la plupart des événements, les mesures de confinement et le risque d’infection ont eu un impact sur les pratiques professionnelles des journalistes. Comment les médias ont-ils réagi à ce défi ? Quels sont les formats et les solutions qui ont été déployés ?

Les réponses sont multiples. Exemple avec trois médias romands : le quotidien Le Temps, la Radio Télévision Suisse (RTS) et le pure player Heidi.news.

Le Temps

Quotidien de presse écrite romand, Le Temps dispose d’un site internet et s’avère très présent sur les réseaux sociaux. « On est un média très complet, résume son rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet, tous les secteurs ont dû s’adapter à la pandémie. »

Web : la parole des experts et de la population

Depuis le début de la crise, Le Temps a lancé plusieurs nouveautés sur son site internet, regroupées et résumées en haut de la page d’accueil depuis le mois d’avril. Sur la gauche du bandeau figurent les données relatives au coronavirus qui sont régulièrement mises à jour, comme le décompte des cas et des décès, ainsi qu’une courbe interactive montrant la progression des nouveaux cas en Suisse. Sur le côté droit, trois icônes font office de lien vers autant de nouveaux formats.

Le header figurant en haut de la page d’accueil du Temps. Source: capture d’écran.

Le premier correspond au suivi en direct. A l’instar de la plupart des médias en ligne, Le Temps a rapidement lancé un live ticker quotidien, alimenté principalement par les agences de presse.

La deuxième icône dirige le lecteur vers une page consacrée aux données, où figurent plusieurs graphiques interactifs, dont une carte de la Suisse et une carte du monde, mais également une section question-réponse sur le Covid-19.

A noter que la progression de la pandémie a été accompagnée par une prolifération de données, qui ne sont pas toujours fiables ni comparables. « Il s’agit de l’un des grands enjeux de cette crise, reconnait Stéphane Benoit-Godet. Notre datajournaliste a commencé très tôt à collecter des données et à construire des graphiques, poursuit-il. Cette section du site est le résultat de son travail de rigueur, elle est très consultée et est aussi devenue un outil de référence pour nous. »

La troisième icône correspond à un nouveau podcast, appelée « Message viral », qui s’ajoute à ceux déjà publiés par le journal. « On s’est vite rendu compte que nos lecteurs n’avaient pas seulement besoin de la parole des experts, mais aussi de celle des personnes ordinaires, qui sont en train de vivre leurs mêmes difficultés », explique le rédacteur en chef du Temps. Lancé fin mars dans un temps très court, le podcast souhaite être une « boîte aux lettres » où les gens peuvent raconter leur quarantaine à travers des messages vocaux WhatsApp ou Telegram. « Il s’agit d’une parole rassurante, et cela nous permet de créer un lien avec nos lecteurs. »

Carte interactive de la Suisse, en deux versions. Source: captures d’écran.

Au-delà de ces nouveautés éditoriales, le journal a gardé ses formats habituels, non sans difficulté. « On a dû prendre des mesures très strictes, comme dire aux collègues d’éviter les reportages et de faire plutôt des interviews par téléphone », détaille Stéphane Benoit-Godet. Moins présents sur le terrain, les journalistes ont dû s’adapter, comme en témoigne une série vidéo consacrée à un jeune militaire mobilisé dans un hôpital tessinois, qui a lui-même réalisé les images.

Le print : pagination réduite et collaboration

L’édition print du journal n’a pas été épargnée par la crise. La pagination a été réduite, certaines pages ont été supprimées, d’autres fusionnées. La collaboration entre les rubriques a été mise en avant. « Cette crise est complexe, ce qui fait qu’une thématique puisse être abordée par une multitude d’angles différents, complète Stéphane Benoit-Godet. Ainsi, pour les pages 2 et 3 de l’édition d’aujourd’hui (21 avril), le thème du redémarrage de l’économie est couvert par un journaliste de la rubrique science. Deux autres papiers ont été réalisés par des spécialistes de la politique et un quatrième a été rédigé au sein de la rubrique économique. »

La Radio Télévision Suisse

Entreprise audiovisuelle de service public, la Radio Télévision Suisse (RTS) propose des programmes sur quatre chaînes radio, deux chaînes TV et de nombreuses plateformes digitales. Tous ces canaux ont été touchés d’une manière ou d’une autre par la crise.

Radio et télévision : une nouvelle émission montée en quelques jours

« Baisser momentanément le volume global de nos prestations pour assurer le maintien des émissions fondamentales » : ce sont les mesures prises par la RTS comme l’explique le directeur du Département Actualité et Sports Christophe Chaudet. « En tant que service public, on a l’obligation légale d’assurer un service d’information minimal. »

Concrètement, toute une série de rendez-vous ont été momentanément supprimés : le magazine d’actualité « Mise au point », l’émission économique « Toutes Taxes Comprises », l’émission de débat « Infrarouge », et le magazine d’information de proximité « Couleurs Locales ». Les reportages de « Mise au point » ont été hébergés dans le journal télévisé de 19h30 du dimanche, ceux de « Toutes Taxes Comprises » dans le 19h30 du lundi, alors que la durée du journal de 12h45 a été réduite à 15 minutes.

Parallèlement, une nouvelle émission, appelée « Antivirus », a été lancée à partir du lundi 23 mars, soit une semaine après la déclaration de l’état d’urgence par le Conseil fédéral. Montée en quelques jours, elle substitue « Couleurs Locales » et raconte comment le confinement est vécu par les habitants. « On a trouvé que c’était important d’entendre les inquiétudes et les solutions proposées par la population », explique Bernard Rappaz, rédacteur en chef de l’actualité à la RTS. A cause des mesures adoptées par les autorités, cela n’a pas été évident. « N’ayant plus d’image de personnes lambda et du public, on a dû créer une émission qui travaille en vidéoconférence, ce qui baissé le niveau de la qualité de l’image », poursuit-il.

Cela a été aussi le cas pour les journaux télévisés. Pendant un certain temps, les invités n’ont pas été accueillis en plateau, mais en duplex ou en vidéoconférence. Pourtant, cela ne signifie pas la fin des reportages classiques. « On a continué à filmer des choses, même si l’exercice du reportage est beaucoup plus compliqué que d’habitude », nuance Christophe Chaudet. « On a par exemple réalisé des immersions dans les hôpitaux, en prenant des mesures de protection, et on a eu beaucoup de reportages de nos correspondants à l’étranger. »

Peut-être moins visible, la radio a aussi été impactée. « On est passé en mode dégradé pour la « Matinale » ou pour « Forum ». Ce dernier est présenté par un ou une journaliste, alors qu’en temps normal il est présenté par deux personnes », complète Christophe Chaudet.

Web : dossier spéciale et podcasts

Sur le web, le coronavirus a réorganisé le site RTS Info. Les nouvelles relatives à la pandémie occupent la partie supérieure de la page d’accueil et sont clairement divisées du reste de l’actualité. Elles sont aussi regroupées dans un dossier ad hoc, une page consacrée entièrement à la crise, arborant un visuel en haut de page. A partir de là, le lecteur peut accéder à plusieurs articles, un live ticker quotidien et une autre page dédiée aux données, où l’on trouve plusieurs cartes et graphiques interactifs.

Le header figurant en haut de la page spéciale consacrée au virus de RTS Info. Source: capture d’écran.

En plus de ces adaptations, la RTS a lancé quatre nouveaux rendez-vous, dont trois podcasts. Le premier, appelé « La vie aux temps du coronavirus », porte directement sur la situation actuelle. Réalisé par un journaliste depuis son domicile et « avec les moyens du bord », ce podcast est consacré à la manière dont les personnes vivent le confinement et la quarantaine. Les interventions de personnalités du monde culturel, scientifique et philosophique « peuvent nous aider à réfléchir et à prendre ensemble un tout petit peu de recul sur la situation, afin de mieux comprendre nos émotions, nos comportements, nos réactions », peut-on lire sur son site internet.

Les deux autres podcasts s’appellent « Le Short » et « Le Point J ». Publié tous les matins, le premier résume l’actualité de la soirée ou de la veille, alors que le deuxième, publié à 17h00, propose l’approfondissement d’une thématique de la journée. La RTS a aussi lancé un rendez-vous sur Instagram, sous forme de story, appelé « Le Rencard ».

Adressés à un public de moins de 35 ans, ces trois nouveautés ont un élément en commun : leur lancement était déjà prévu, mais la crise a accéléré les choses. « Dans un moment où l’information est particulièrement attendue, il fallait être présent aussi pour les jeunes adultes », explique Christophe Chaudet. « La pandémie nous a permis de tester grandeur nature un certain nombre de changements déjà prévus », conclut-il.

Heidi.news

Lancé en mai 2019, Heidi.news est un média numérique axé sur la science et la santé. Il est financé par ses abonnés, sans publicité.

Grâce à ce profil spécifique, son adaptation à ce contexte de crise a été différente de celle mise en place par les médias généralistes. « Le gros avantage, c’est qu’on n’avait rien d’autre que des rubriques science et santé, confirme le directeur éditorial Serge Michel. Heidi est composé de journalistes spécialisés, experts dans leur domaine. C’est un sujet que l’on a été très vite capable d’identifier et de traiter. »

Newsletter, explorations et tribunes

Même s’il n’a pas été nécessaire de réorganiser radicalement ses contenus, Heidi.news a lancé plusieurs nouveaux formats, dont une nouvelle newsletter, appelée « Le point coronavirus ». Elle en remplace une autre, « Le point science », et livre des infos, des témoignages et des analyses depuis les hôpitaux. « On a mis des correspondants dans des hôpitaux, avec mission de faire témoigner des médecins et des soignants, détaille Serge Michel. Cela nous a donné une longueur d’avance, car on était tout de suite avec ceux qui sont sur le front. »

La newsletter « Le point coronavirus ». Source: capture d’écran.

De manière générale, la crise a changé le rythme de Heidi. « On est devenu un média plus axé sur l’actualité, alors que normalement on a une approche plutôt magasine, détaille le directeur éditorial. Dans une situation pareille, il faut pouvoir réagir rapidement. Quand le prix Nobel Luc Montagnier explique que le virus a été fabriqué en Chine, il est important de répondre immédiatement, en apportant de l’expertise scientifique. »

Parallèlement, le média a aussi lancé plusieurs « Explorations », c’est-à-dire des grands récits par épisodes. L’une d’entre elles, « Milan au temps du coronavirus », raconte la situation dans la ville lombarde. Elle est réalisée par une journaliste et un photographe bloqués sur place à cause du confinement. « Cela aussi nous a donné de l’avance. Quand la pandémie frappait l’Italie, personne en Suisse n’a complétement compris qu’on allait vivre exactement la même chose. Le fait d’avoir quelqu’un là-bas qui raconte tous les jours ce qui se passe nous a beaucoup aidé. »

Depuis le début de la crise, Heidi a aussi publié plusieurs autres nouveautés : des récits de lecteurs, de nouvelles chroniques, et une première tribune politique de la part du conseiller d’état genevois Antonio Hodgers. « Tout cela est nouveau et c’est la crise qui nous a poussé à le faire », conclut Serge Michel.

Cet article est publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0). Il peut être republié à condition que l’emplacement original (fr.ejo.ch) et les auteures soient clairement mentionnés, mais le contenu ne peut pas être modifié.

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  1. La Radio Télévision Suisse a également lancé une émission quotidienne sur RTS 2 destinée aux élèves, à leurs parents et à leurs enseignants ! Cinq fois par semaine, une heure durant, Y’ A PAS ECOLE ? traite de thématiques diverses : science, histoire suisse, éducation aux médias, nature, alimentation. Ces modules permettent d’apprendre autrement et de mettre en valeur le formidable travail de vulgarisation effectué par l’équipe de RTS Découverte, en partenariat avec la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin.

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