Les pigistes : les oubliés des médias ?

27 mai 2020 • Économie des médias, Récent • by

Il y aurait environ 300 à 350 pigistes en Suisse romande, mais il est difficile d’avoir des chiffres exacts. Image: Théophile Bloudanis.

En Suisse romande, la situation des pigistes est compliquée. D’un média à un autre, ces employés ne vivent pas la crise sanitaire de la même manière. Si certains n’ont pas vu leur quotidien chamboulé, pour d’autres il n’y a plus de travail. Est-ce qu’eux aussi ont le droit à une compensation financière ?

Qui dit crise sanitaire dit télétravail et réduction du personnel dans les rédactions. Le semi-confinement a provoqué aussi l’annulation de nombreux événements ces deux derniers mois ainsi que pour l’été. Des rendez-vous qui sont importants pour les journalistes et encore plus pour les pigistes, comme en témoigne cette pigiste du quotidien vaudois 24 heures : « Je m’occupe de Vaud et Région et je couvre surtout les événements les week-ends. J’ai reçu un mail me disant que, comme il n’y avait plus d’événements, je n’avais rien à couvrir. J’espère que ça reviendra vite, mais je n’ai pas eu d’autres indications depuis. »

Il y aurait environ 300 à 350 pigistes en Suisse romande. Mais il est difficile d’avoir des chiffres exacts, car les statuts peuvent rapidement changer et ne sont pas communiqués à Impressum et autres associations de syndicats de journalistes qui les recensent. Deux catégories se distinguent : les pigistes ponctuels, qui travaillent une à deux fois par mois, souvent les week-ends, et les pigistes réguliers, qui viennent en semaine et les week-ends (ils peuvent être mandatés à 20% dans une rédaction).

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La secrétaire générale d’Impressum, Dominique Diserens, se dit concernée par le sort des pigistes en Suisse durant cette période : « le statut des « Libres » était déjà précaire avant la crise sanitaire ». Avec la réduction des rédactions et du temps de travail de la plupart des journalistes, beaucoup de pigistes se sont retrouvés sans travail. La question se pose, est-ce qu’eux aussi ont le droit à une compensation financière ?

Pas d’aide financière pour tous les pigistes

Michel Brüher, président des Journalistes Libres romands, atteste: « la situation est compliquée pour les compensations, car les différents statuts des pigistes en Suisse romande ne permettent pas à tout le monde d’obtenir des aides financières ». En Suisse romande, les journalistes comme les pigistes doivent s’inscrire à la convention collective de travail (CCT). Cela oblige les pigistes à obtenir le statut de « Libres » pour qu’ils soient reconnus et protégé par la CCT. Les Libres réguliers dans les rédactions, et reconnus comme tels par la convention des médias suisses, ont donc un accès au chômage partiel ou au RHT (réduction horaire de travail) selon leur degré de collaboration avec les rédactions.

Les pigistes qui ne sont pas réguliers devraient aussi pouvoir bénéficier d’une protection, mais il est parfois difficile de tous les recenser s’ils ne font partie d’aucun syndicat de journalistes. Sans reconnaissance, ils passent malheureusement entre les mailles du filet des aides financières.

Au début de la pandémie, Impressum a effectué un sondage auprès des Libres de toute la Suisse. Sur les 1’000 membres, 400 pigistes ont répondu au sondage. Sur les 400, plus de 300 ont déclaré avoir eu une importante perte de gain (plus de 1,7 millions de francs en tout). Les cinquante autres n’ont pas eu de grand chamboulement dans leur travail. Dans certains cas, les pigistes reçoivent le chômage partiel, tandis que d’autres se retrouvent sans salaire.

Deux médias et deux gestions différentes

À Neuchâtel, le statut des pigistes varie selon les médias. Au quotidien ArcInfo, la plupart des pigistes sont ponctuels. Ils permettent de couvrir les événements durant les week-ends et donc ils travaillent une à deux fois par mois pour la plupart. Seulement quatre ou cinq personnes sont des pigistes réguliers (secrétariat de rédaction ou à la rubrique sport).

« Ils représentent 3% de la masse salariale » souligne Sophie Winteler, rédactrice en chef adjointe. Les pigistes réguliers ont droit au RHT et au chômage partiel. « Depuis le début de la crise, les journalistes de la rédaction sont passés de 20% à 80% en RHT, précise la rédactrice en chef. Les pigistes réguliers font partie des 20%. » Pour les pigistes ponctuels, il n’y a malheureusement pas de compensation envisagée.

« Depuis deux mois, on en emploie plus. Il n’y a plus de manifestation et on est assez pour couvrir ce qu’il y a faire, même s’il y a des gens en RHT. Donc on n’a plus moyen de les utiliser. Ça nous désole, car on adore travailler avec eux et ça les fait voir la réalité du métier. Mais on ne peut pas faire autrement », conclut Sophie Winteler.

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Du côté de la radio régionale RTN, la situation est différente, la dizaine de pigistes sont réguliers. À l’annonce du semi-confinement, la rédaction a dû revoir les priorités des personnes indispensables au sein de sa rédaction. Pour autant, il était important pour Adrien Juvet, rédacteur en chef RTN, de trouver une compensation financière pour leurs Libres. La radio régionale a obtenu des aides financières de la part de la Confédération et a pu dédommager ses équipes.

« Concernant nos pigistes, on les a libérés des mandats qu’étaient planifiés dès le début de la crise, dans le courant du mois de mars, explique-t-il. Pour les pigistes réguliers avec une certaine expérience, qui n’ont pas d’autres mandats professionnels, on a pu faire des démarches pour leur proposer des mesures RHT. »

Il espère les revoir au sein de la rédaction cet été quand la situation sera un peu revenue à la normale.

Des pigistes pas tous logés à la même enseigne

À Fribourg, le quotidien La Liberté vit la crise différemment. Le rédacteur en chef Serge Gumy nous a expliqué par mail que les finances de la rédaction ont été révisées, mais cela n’a pas provoqué d’incidence sur le budget pour les piges. Les personnes au Web ou à la région n’ont pas vu leur taux de travail trop diminuer. Elles sont toujours sollicitées les week-ends. Les pigistes à l’étranger ont la même dose de travail qu’usuellement. Les trois rubriques les plus impactées par le Covid-19 sont le Sport, la Société et la Culture. Une réduction importante par l’annulation des compétitions sportives et des différentes manifestations liées aux mesures sanitaires.

Mattia Pillonel, pigiste à La Liberté, l’illustre parfaitement. « Normalement, je travaille un week-end par mois, explique-t-il. Cette situation n’a pas beaucoup changé pendant la crise: j’ai fait un week-end le mois de mars et deux week-ends en mai. »

Ces quelques exemples montrent les contrastes du statut des pigistes et comment les médias s’ajustent face à la crise due au Covid-19. De plus, l’accès à des aides financières varient selon le statut de Libres ponctuels ou réguliers. Cette crise sanitaire a pu mettre en lumière la place que les pigistes occupent au sein d’une rédaction en temps normal, si certains restent essentiels d’autres se voient perdre pendant encore quelques temps leur travail.

Ce texte est issu du projet #médiasconfinés dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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