La presse écrite s’empare du podcast en Suisse francophone

6 novembre 2019 • Formats et pratiques, Récent • by

Source: pixabay

Format sonore intime et peu coûteux, le podcast est de plus en plus populaire de nos jours, surtout parmi les jeunes. Plusieurs médias écrits y voient une façon de se renouveler et n’ont pas tardé à s’en emparer. En Suisse francophone, Le Temps et la Tribune de Genève font partie des titres qui ont expérimenté ce format : un succès surprenant.

Le podcast est en plein boom. Une enquête publiée par le Reuters Institute révèle que plus d’un tiers des personnes interrogées – soit un échantillon de 75’000 personnes dans près de 40 pays – dans le monde en écoute régulièrement.  Ce succès n’a pas échappé aux médias traditionnels qui se sont également emparés de ce format sonore peu coûteux et aux multiples possibilités. Depuis quelques années, la presse écrite s’y est mise, en attestent les nombreux podcasts proposés désormais par le Guardian, le Washington Post, ou encore Le Monde  – depuis quelques mois seulement. Comment expliquer cet engouement ? Tour d’horizon en Suisse francophone, où plusieurs médias de presse écrite (Le Matin, Femina, ou encore récemment La Liberté) ont emboîté le pas du podcast natif. Exemple avec Le Temps et la Tribune de Genève, les premiers quotidiens à s’être lancés dans l’aventure.

La presse écrite ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui…

Exempté des contraintes de la diffusion radiophonique classique, ce format sonore attire les médias traditionnels, car ils y voient une façon de se renouveler et de se diversifier, explique la journaliste Célia Héron et co-créatrice avec Virginie Nussbaum, de « Brise Glace », un podcast narratif qui aborde par le récit de vie des questions intimes et souvent taboues depuis mai 2018. Rien de surprenant à cela selon la cheffe de la rubrique société du Temps.  « La presse écrite ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui… » souligne-t-elle.  En effet, le numérique permet aux abonnés d’avoir une offre plus élargie de formats différents. Dans la foulée, Le Temps a d’ailleurs lancé un deuxième podcast appelé « Raffut » qui s’intéresse à la place des femmes dans le sport.

 

Source: Le Temps

 

La Tribune de Genève propose de son côté des séries de podcasts thématiques, dont « Des bobos dans mon quartier »  lancé en novembre 2018. Un format destiné avant tout à élargir l’offre digitale du titre, selon son rédacteur en chef Frédéric Julliard : « Il enrichit notre site internet et propose à nos abonnés un contenu supplémentaire ». La série sur les quartiers genevois comptabiliserait des milliers d’écoutes par épisode.

Produit d’appel pour toucher un nouveau public

« Brise Glace » a dépassé quant à lui, le demi-million d’écoutes au total (près de 550’00 dans toute la francophonie selon des chiffres datant de novembre 2019), soit un succès considérable et inattendu pour Le Temps, estime Célia Héron. Surtout que ce n’était pas gagné d’avance. Des mois d’attente ont été nécessaires avant la mise en œuvre de cette production originale, car la rédaction du Temps, bien qu’ayant laissé le champ libre aux deux co-productrices, exigeait toutefois des garanties sur l’intérêt de ce nouveau format encore jamais expérimenté en Suisse francophone. Et ceci tout en sachant que « les consommateurs du journal papier et numérique ont entre 45 et 55 ans et ne sont pas forcément des consommateurs de podcasts », analyse la journaliste.

Selon le Reuters Institute, les podcasts attirent en effet davantage les moins de 35 ans, notamment parce qu’il s’écoute depuis un smartphone, n’impose pas de grille horaire et s’adapte à la mobilité de chacun. Avec le podcast, les journaux peuvent toucher une nouvelle audience avec l’objectif de les amener ainsi vers l’écrit, selon Maëlle Fouquenet, journaliste et responsable de la formation numérique à ESJ Pro, le centre de formation continue rattaché à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. D’après cette spécialiste, la stratégie des médias français consiste à utiliser le podcast comme produit d’appel pour de futurs abonnés jeunes. Exemple avec le journal L’Équipe, qui a misé sur un casting original dans son podcast  pour plaire aux jeunes en invitant rappeurs et footballeurs à la même table.

Le podcast : une écoute intime

Une des caractéristiques du podcast est qu’il offre une expérience personnelle et presque confidentielle, poursuit Maëlle Fouquenet. C’est donc un format notamment adapté à des contenus intimes, narratifs et faisant la part belle au témoignage. « La force physique offerte par la voix, les sons d’ambiance, les réactions humaines ou encore le lien plus direct entre le journaliste et l’interviewé… Tout cela donne à l’auditeur l’impression d’être plus proche des personnes qu’il écoute ».

C’est précisément ce qui a convaincu le rédacteur en chef de la Tribune de Genève pour la série « Sorti(e) de l’addiction », qui livre des témoignages de personnes tombées dans  l’alcoolisme ou la drogue notamment. « Ce sont des récits de vie que l’on peut difficilement filmer et qui se prêtent davantage à une écoute individuelle », souligne Frédéric Julliard.

Ici les interlocuteurs expriment leur vécu, sans reformulation de leurs propos.

« Dans l’enfer de l’anorexie », « Dans la vie de David, une drag queen nommée Nancy » ou encore « Survivre à l’appel de la mort », les thématiques abordées dans « Brise Glace » se distinguent également du reste du journal Le Temps. D’abord sur le fond : « Nous abordons durant quelques fois 40 minutes des sujets de niche, des angles morts, des tabous qui sont développés différemment par rapport à la presse écrite : ici les interlocuteurs expriment leur vécu, sans reformulation de leurs propos », explique Célia Héron. Puis sur la forme : « L’entretien lui-même est intime vu que nous recevons nos interlocuteurs chez nous ».

Une étoile filante ?

Le succès actuel du podcast rappelle celui du webdocumentaire… qui s’est effondré. « Il n’y avait aucun moyen de rentabiliser ce produit particulièrement cher. Ce qui n’est pas le cas du podcast », souligne Maëlle Fouquenet. Son coût de production, encore difficilement quantifiable, reste bien moindre : il suffit d’un enregistreur et d’un programme de montage. En termes de temps de travail, « le ou la journaliste mobilise toutefois en moyenne deux à trois jours par épisode », estime Frédéric Julliard.

 

 

A noter que le podcast peut rapporter de l’argent s’il a du succès auprès de son audience. « Brise Glace » a été monétisé sur trois épisodes, grâce à des partenariats et ceci « sans aucune contrepartie éditoriales » souligne Célia Héron. Le Temps a aussi produit « Les femmes du Léman », une série sponsorisée par une banque.

Autre piste quant au possible avenir du podcast : les assistants vocaux. Un créneau qui semble prometteur et dans lequel Frédéric Julliard envisage de s’engager avec la Tribune de Genève. « Les assistants vocaux vont devenir un élément important pour la distribution de l’information. Avec ‘Siri’ sur l’iPhone, les personnes commencent à avoir l’habitude de commander des choses vocalement et ce principe va naturellement évoluer », ajoute enfin Maëlle Fouquenet.

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