Le journalisme local est le secteur médiatique le plus menacé par la crise du coronavirus. Les emplois et les médias qui ont disparu ou qui vont disparaître à cause du Covid-19 risquent de ne jamais revenir, ce qui favorise l’installation de déserts informationnels. Damian Radcliffe, professeur à l’Université de l’Oregon, propose sept pistes pour aider les médias locaux à surmonter ces difficultés.
La pandémie de Covid-19 risque de provoquer l’« extinction » de nombreux médias dans le monde entier. Comme la crise ne montre aucun signe de ralentissement dans un avenir proche, il est trop tôt pour mesurer toutes ses implications. Cependant, il est clair que l’industrie de l’information qui en sortira sera très différente de celle qui l’a précédée.
Même les médias qui semblaient bien traverser la crise ont été négativement touchés. En mai, le magazine The Atlantic a licencié 68 employés, soit 17% de son personnel, malgré une augmentation de 160’000 nouveaux abonnés au cours des huit derniers mois (dont 90’000 depuis mars 2020).
Rien qu’aux États-Unis, la pandémie a frappé plus de 36’000 employés des médias. Plusieurs journalistes ont perdu leur emploi, d’autres ont été mis à pied, et certaines rédactions ont fermé. Une dynamique similaire est en cours dans le monde entier.
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Dans ce contexte, les gouvernements, les entreprises technologiques, les fondations et d’autres bailleurs de fonds subissent une pression croissante pour soutenir l’industrie de l’information. Ces appels sont compréhensibles. Après tout, sans une forme d’aide quelconque, il existe un risque très réel que les emplois et les médias perdus à cause du Covid-19 ne reviennent jamais.
Alors comment les décideurs politiques, les fondations, les bailleurs de fonds ou les particuliers peuvent-ils soutenir au mieux le journalisme pendant cette crise ?
Les médias locaux sont essentiels à la société
Nombre de ces efforts devraient sans doute se concentrer sur le journalisme local, le secteur médiatique le plus menacé. Les médias locaux souffrent le plus de la crise économique et publicitaire, et disposent d’un bassin d’annonceurs plus restreint.
Sans soutien, ce n’est pas exagéré de dire que les pertes subies par les médias locaux pourraient avoir un impact profondément négatif sur toute la société. Les faits suggèrent que sans un journalisme local dynamique, les fonctionnaires sont potentiellement moins responsables qu’ils ne devraient l’être, moins de personnes se portent candidates aux élections et les citoyens sont moins impliqués dans les processus électoraux.
De plus, lors d’une crise majeure de santé publique, il n’y a pas de discours dominant. Il existe une myriade de récits qui doivent être contextualisés et expliqués. Les médias nationaux ne peuvent pas le faire seuls. Leurs efforts doivent être complétés par des rédactions dans différentes communautés qui peuvent expliquer ce qui se passe et ses implications, en particulier pour un public local. La nécessité d’un journalisme local n’a jamais été aussi évidente.
En gardant tout cela à l’esprit, je propose les sept pistes suivantes pour les décideurs politiques et les bailleurs de fonds :
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1. Fournissez un soutien direct pour maintenir les médias opérationnels – même à capacité réduite
Si les médias locaux disparaissent complètement, il est peu probable qu’ils reviennent. Ils seront perdus pour de bon. Il faut donc se concentrer sur les régions où il n’existe qu’une seule source d’information, afin de réduire le risque qu’elles ne deviennent des déserts informationnels.
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2. Soutenez la couverture des questions clés en finançant des rôles et des séries spécifiques
Le Texas Tribune, le Guardian et d’autres médias ont financé avec succès des séries et des journalistes pour assurer une couverture spécifique. Cela permet de pouvoir se concentrer sur les besoins d’informations les plus importants en ce moment. Ces séries et ces articles n’attireront peut-être pas un grand public, mais le journalisme de service public est primordial.
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3. Ne soutenez pas que les médias traditionnels, et en particulier la presse écrite
Les stations locales du National Public Radio et du Public Broadcasting Service produisent un travail très important. Tout comme de nombreux médias numériques. Pourtant, trop souvent, les efforts de financement concernent surtout les médias traditionnels.
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4. Considérez la structure de propriété des organisations que vous soutenez
Beaucoup d’anciennes organisations de presse sont massivement surendettées. Un certain nombre d’entre elles sont des sociétés publiques ou des fonds spéculatifs qui s’engagent à offrir des rendements aux investisseurs et aux actionnaires. Dans la situation actuelle, les bailleurs de fonds devraient s’assurer que leur argent n’est pas dépensé pour soutenir les dividendes ou le remboursement des dettes.
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5. Recherchez des opportunités d’interventions dans les déserts informationnels
Il faut s’attaquer au fossé numérique et informationnel en déterminant quels produits permettront de transmettre au mieux les informations importantes aux communautés qui en ont besoin. Cela devrait inclure des contenus dans d’autres langues et la diffusion d’informations par SMS. Ces stratégies pourraient avoir un impact très important à court terme, et ne doivent donc pas être négligées.
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6. Demandez-vous : à quoi ressemblera le paysage médiatique après la pandémie ?
Oui, nous avons besoin d’aide dès maintenant. Cependant, au même temps, les bailleurs de fonds devraient s’assurer qu’ils peuvent répondre à la fois aux besoins à court terme et aux considérations à long terme. Ces deux dimensions s’excluent-elles mutuellement ? Comment les interventions peuvent-elles soutenir les entrepreneurs du secteur de l’information ? Comment peuvent-elles susciter de nouveaux comportements durables et axés sur la collaboration ?
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7. Soutenez les indépendants et les journalistes qui risquent de « quitter » le secteur
Le journalisme a longtemps eu un problème de diversité, que la crise actuelle risque d’amplifier. Nous avons besoin de fonds de secours, de prêts à taux zéro, de formations gratuites, de créer des réseaux de soutien (pour aider à lutter contre l’isolement social et d’autres problèmes de santé mentale, qui sont les plus difficiles à gérer pour les minorités et les personnes qui travaillent seules) et d’autres efforts pour soutenir les personnes les plus vulnérables et donc les plus susceptibles de quitter le secteur. Comme les médias pour lesquels ils travaillent, une fois partis, ils peuvent ne jamais revenir.
Le coronavirus laisse un chemin de destruction dans son sillage et risque de provoquer un choc économique plus important que celui entraîné par la crise financière de 2008-2009. Les problèmes que l’on vient d’évoquer ne sont pas nouveaux, mais la pandémie a mis en évidence la nécessité de les résoudre.
Si nous ne commençons pas à réfléchir de manière créative aux solutions et aux principes qui guideront l’avenir de notre industrie – et son rôle dans la société – nous sommes condamnés à répéter les erreurs du passé, ce qui devrait être inadmissible. J’espère donc que ces suggestions donnent matière à réflexion, alors que nous essayons de digérer ce qui se passe et de déterminer la meilleure voie à suivre.
Cet article a été initialement publié sur le site anglophone de l’EJO.
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