Comment la crise du coronavirus révèle l’importance et les limites du data journalisme

4 juin 2020 • Formats et pratiques, Récent • by

« Les tableaux de bord ou les graphiques, qui pouvaient paraître trop arides aux gens, ont été remis en avant. » Image: AS.

Nombre de cas confirmés, taux de décès pour 100’000 habitants, ce sont des informations que nous lisons quotidiennement depuis le début de la pandémie. Récolter, traiter et présenter ces données fait partie du data journalisme. Celui-ci a pris de l’importance durant cette crise, mais a également révélé certaines limites.

Partout autour du monde, les médias se mobilisent pour transmettre les données sur le Covid-19 à leurs lecteurs. Cet article du magazine PressGazette a regroupé les meilleurs exemples de ces derniers mois. Du Financial Times, en passant par The Economist, ou encore le South China Morning Post, tous ont recours au data journalisme pour informer sur le coronavirus.

En Suisse romande, la Radio Télévision Suisse, ainsi que les quotidiens Le Temps et 24 heures, parmi d’autres, ont mis en place des articles « spécial data » sur le coronavirus. Duc-Quang Nguyen est journaliste de données à la rédaction Tamedia Romandie et témoigne du succès de cet article paru sur le site du 24 heures, auquel il a participé.

Il constate une redécouverte de l’importance du data journalisme. « Les tableaux de bord ou les graphiques, qui pouvaient paraître trop arides aux gens, ont par exemple été remis en avant et maintenant leur parlent », explique-t-il.

Lire aussi: Cinq leçons tirées de la pratique du journalisme de données dans un média traditionnel 

Adrian Holzer, professeur en systèmes d’information à l’Université de Neuchâtel confirme un « intérêt plus large pour ce type de données ». Alors que, par exemple, les courbes exponentielles n’intéressaient pas dans le passé, celles-ci sont entrées dans les mœurs.

WeDoData, dans sa série d’articles Covid et Data, écrit que « depuis le début de cette épidémie, les graphiques ont envahi les écrans. Pas un jour sans qu’un tableau de bord interactif, une carte, et bien sûr, des courbes n’accompagnent un article. »

Alors pourquoi le data journalisme prend-il une telle importance durant cette période?

Une offre, mais aussi de la demande

Ce en quoi consiste le data journalisme répond à des besoins essentiels durant la crise du Covid-19: acquérir, analyser, et présenter des données fiables.

  • 1. Recherche

Le data journalisme est important pour acquérir des données, qui sont parfois difficiles à obtenir en ce temps de crise. Duc-Quang Nguyen explique par exemple que « l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne fournissait pas les chiffres par canton, il a fallu se battre pour avoir ces données tous les jours. »

  • 2. Analyse

Pour Duc-Quang Nguyen, l’une des raisons de l’importance du data journalisme durant cette période est l’éclairage qu’il peut apporter au surplus d’informations. En effet, de nombreux chiffres, parfois contradictoires, sont transmis tous les jours.

Sans l’analyse et l’organisation de ces données par les data journalistes, beaucoup d’entre nous risqueraient de mal interpréter certaines informations. Prenons comme exemple le taux de décès par million d’habitants qui dépend de beaucoup de facteurs, comme l’explique ici Le Temps dans son article « spécial data ».

Graphiques LT

Le taux de décès par million d’habitants dépend de beaucoup de facteurs. Image: capture d’écran Le Temps.

  • 3. Présentation

Enfin, le data journalisme est important car il permet, comme l’exprime Adrian Holzer, la présentation de ces données, en leur donnant un sens, en faisant passer un message. Cette vidéo de Data Gueule en est un exemple.

Le data journalisme a permis de répondre à certains besoins essentiels durant cette crise, et a donc révélé son importance. Cependant, il a aussi révélé certaines limites durant cette période, comme les données elles-mêmes (l’accès à celles-ci, ainsi que leurs lacunes), ou leur traitement.

« Être conscient des limitations des données »

Un exemple des limites de l’accès aux données, est la question du nombre réel d’infections. « Nous ne le savons pas. Ce que nous savons, c’est le nombre de cas d’infection confirmés» explique Lorenzo Ferrari dans un article du European Data Journalism Network. L’auteur développe ensuite les raisons de cette situation. Selon la stratégie de dépistage adoptée par les autorités, les tests sont limités à certaines catégories de personne. Parfois, même en présentant des symptômes, il est impossible de se faire tester. Il y a aussi les nombreuses personnes, infectées par le virus, mais qui ne présentent pas de symptômes. Ces éléments impliquent que tous les cas réels d’infections ne sont pas officiellement confirmés, et que les données sont donc incomplètes.

Loris Guémart, dans un article pour Arrêt sur Images, discute du traitement des données du Covid-19. Il aborde l’exemple de l’échelle logarithmique, choisie par plusieurs journalistes pour représenter l’augmentation du nombre de cas par pays. L’avantage est que « les courbes de progression logarithmiques permettent de comprendre où en est chaque pays, relativement aux autres. »

Mais il y a aussi des désavantages. Par exemple, cette échelle est peu efficace pour observer rapidement « le niveau d’accélération ou de décroissance d’un pays donné » ou pour évaluer la politique de santé des États. Ceci notamment car elle n’inclut pas le nombre de morts par habitant. Le choix du traitement des données a donc également ses limites.

 

Duc-Quang Nguyen partage un exemple, qui l’a beaucoup marqué au début de la pandémie. Certains médias ont relayé des statistiques qui montraient que le nouveau coronavirus était moins mortel que la grippe, graphique à l’appui.

Pour lui, cela montre bien « à quel point les chiffres peuvent être marquants pour les gens. » Il rappelle qu’en tant que data journaliste, il faut « être conscient des limitations des données et prendre des précautions, peut-être encore plus importantes en cette période. »

Ce texte est issu du projet #médiasconfinés dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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