Cinq leçons tirées de la pratique du journalisme de données dans un média traditionnel

19 décembre 2019 • Formats et pratiques, Innovation et numérique, Récent • by

Source: Flickr.

Les compétences en matière de données et de codage dans le domaine journalistique sont très importantes, mais elles peuvent être assez rares. Rui Barros a passé trois ans à construire une unité de journalisme de données au sein d’une radio portugaise. Dans un article publié sur le site anglophone de l’EJO, il livre cinq conseils pratiques tirés de cette expérience.

Quand j’ai rejoint la rédaction de Rádio Renascença en 2016, j’avais un objectif clair en tête : créer l’une des premières unités de journalisme de données du pays et utiliser les données et la programmation pour explorer de nouvelles manières de raconter des histoires.

Au cours des trois années qui se sont écoulées depuis, j’ai connu d’innombrables échecs, j’ai tiré des leçons inestimables de ces erreurs, j’ai été très frustré et j’ai essayé de nouvelles choses influencées par les blogs, les fils Twitter et les réponses trouvées sur Stack Overflow.

Entre-temps, le paysage médiatique portugais n’a pas beaucoup changé. Aujourd’hui encore, le Portugal ne compte qu’une poignée de journalistes de données. Tout le monde insiste sur le fait que les compétences en matière de données et de codage sont très importantes, mais peu de programmes des écoles de journalisme offrent une formation dans ce domaine. Les hackathons sont encore limités au secteur des TIC et aux entités gouvernementales, les données ouvertes sont un mirage, et les data projects sont quelque chose que les journalistes de données autoproclamés (y compris moi) ne font que rarement.

Cette description pourrait donner l’impression que le journalisme de données et l’innovation qui lui est associée sont passés à côté du Portugal. Ce n’est pas vrai, bien que le rythme du changement soit très lent. Trop lent, comparé à d’autres pays.

Cela dit, le fait d’avoir passé trois ans à construire une unité de données et à l’intégrer dans le flux de travail d’un média vieux de 83 ans m’a appris plusieurs choses. Donc, si vous aspirez à mettre en place ce genre de cellule dans votre propre rédaction, voici quelques leçons apprises tout en essayant d’être novateur.

1. Devenez une licorne (alias un journocoder)

Les journalistes qui codent (journocoders) sont les licornes de l’industrie des médias : ce sont des créatures rares qui non seulement ont des compétences en journalisme, mais qui peuvent aussi faire de la programmation et de l’analyse de données (et, jusqu’à un certain point, du design). Cette combinaison particulière de compétences fait de ces personnes des éléments particulièrement recherchés au sein d’une rédaction. Mais si vous voulez démarrer une unité de journalisme de données dans votre rédaction, j’ai de mauvaises nouvelles pour vous : les licornes sont encore plus rares que vous ne le pensez.

Mon conseil est donc : devenez-en une vous-même. En effet, si vous vous intéressez au journalisme de données, peut-être avez-vous rencontré un obstacle après avoir eu une très bonne idée : « Cela pourrait marcher, mais je ne sais pas comment le faire. Si seulement j’avais un programmeur pour m’aider… ».

Il ne sert à rien d’attendre que votre entreprise engage un développeur pour vous aider, car cela n’arrivera pas.

Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il existe de nombreuses façons d’apprendre ce nouveau pan du journalisme. Il y a des cours en ligne gratuits incroyables, GitHub est plein de matériel de qualité et la communauté est toujours prête à offrir son aide. N’ayez pas peur de demander !

2. Gérez vos propres attentes

Vous avez consulté la liste des finalistes des Data Journalism Awards, lu le Data Journalism Handbook et vu le travail fou des gens du Guardian, du New York Times, de FiveThirtyEight, de La Nación, ou du Berliner Morgenpost (pour n’en citer que quelques-uns). Ces projets sont des chefs-d’œuvre, qui vous inspirent à produire quelque chose d’aussi grand vous-même.

C’est merveilleux d’aspirer à une telle ambition, mais vous devriez apprendre à gérer vos attentes – en d’autres termes, à savoir ce qui est possible compte tenu des ressources à votre disposition. Certaines des choses que vous souhaitez faire peuvent exiger beaucoup plus de temps et de collaboration que ce que vous avez à votre disposition.

Cela ne veut pas dire que vous ne devez pas viser haut. Ne soyez pas frustrés parce que le résultat n’est pas encore aussi parfait que vous le souhaiteriez. Essayez de tomber amoureux du processus, pas du résultat final.

3. Apprenez à gagner du temps

Ma rédactrice en chef se moque de moi parce que chaque fois qu’elle a une idée folle, je lui réponds toujours : « C’est possible. Mais j’ai besoin de temps pour apprendre à le faire ».

Même si vous êtes un codeur talentueux et expérimenté, vous avez besoin de temps pour apprendre. Donc, si vous et vos rédacteurs en chef êtes vraiment désireux de vous lancer dans un nouveau projet incroyable, vous devez apprendre à négocier le temps dont vous avez besoin pour le faire. Gagner ce temps est un investissement qui rapportera des dividendes d’ici peu.

(Un conseil supplémentaire : si vous pensez que cela ne vous prendra que quelques minutes, vous vous trompez. Ça prendra beaucoup plus longtemps que ça.)

4. Ne vous inquiétez pas si vous vous sentez comme un hacker au sein de votre propre média

Je ne parle pas de l’attitude des journalistes traditionnels à l’égard de leurs collègues du codage. Ils m’ont jeté des regards perplexes, mais ils sont vite revenus vers moi quand ils ont vu le résultat final.

Mais la plupart des organes d’information ne sont pas encore prêts pour les journocoders. Les journalistes ne sont pas censés avoir accès aux serveurs, aux API internes ou à quoi que ce soit qui se cache derrière l’interface WYSIWYG que l’équipe informatique a préparé pour la rédaction.

En fait, les journalistes codeurs sont une « nouveauté » et les informaticiens n’ont pas l’habitude de répondre à ce genre de demandes de la part des rédactions. Ils sont plus habitués à répondre : « C’est impossible pour des raisons de sécurité ».

Les équipes informatiques sont également rendues nerveuses par le fait que de nombreux codeurs n’ont pas de formation à proprement parler en informatique, ce qui signifie qu’ils ont parfois une approche peu orthodoxe, qui peut consister à abandonner les « pratiques les plus justes », tant que cela fonctionne. Eh bien, nous, les journalistes, nous sommes des créatures animées par la curiosité, ce qui signifie que nous avons peut-être un penchant pour casser les codes.

De l’absence d’accès administrateur dans votre ordinateur à un point d’accès sécurisé au serveur, vous pouvez vous attendre à avoir à surmonter de nombreux problèmes. Surtout si vous travaillez dans une rédaction plus traditionnelle. La bonne nouvelle, c’est que si vous savez coder, vous serez capable de parler le même langage que l’équipe informatique. Vous n’aurez aucune difficulté à leur expliquer pourquoi un obstacle bloque votre flux de travail, et vous pourriez même vous faire de nouveaux amis.

Ne laissez aucune barrière apparente vous empêcher d’essayer de nouvelles choses. Heureusement il y a quelques services qui vous permettront d’explorer les bases gratuitement. Tout en essayant de peaufiner les choses, vous apprendrez probablement quelque chose de nouveau. Et peut-être qu’un jour, on vous remettra votre propre carte de crédit d’entreprise pour payer vos projets.

(Dans sa contribution à ce fil Twitter, l’expert en journalisme de données Matt Waite laisse entendre que les journocoders du New York Times ont dû faire face exactement au même problème. Waite met le doigt sur le problème lorsqu’il dit que les cartes d’achat auront une place spéciale dans l’histoire de l’innovation journalistique).

5. Arrêtez d’agir comme si vous avez des super-pouvoirs uniques

Être capable de coder et d’analyser des données peut vous donner l’impression d’être dotés de pouvoirs mystiques. C’est compréhensible. Mais le sentiment d’être un codeur solitaire dans votre rédaction peut soudain se transformer en un véritable « syndrome de la diva ». Vous avez peut-être l’impression que personne ne comprend vraiment vos luttes, mais avez-vous déjà essayé de les expliquer ?

Chaque fois que je collabore à un projet avec un journaliste plus « traditionnel », j’explique en détail comment s’effectue l’analyse des données. S’il devient nécessaire de construire un scraper, j’explique qu’il n’y a pas de moyen simple de télécharger les données en une seule fois, donc il faut créer un petit « robot » qui va de page en page pour collecter les données.

Soudain, votre collègue aux compétences limitées en informatique commence à comprendre ce que vous faites. Non seulement cela, mais ils commencent aussi à faire des suggestions sur la façon de résoudre un problème spécifique. Et c’est l’une des choses les plus gratifiantes qui puisse arriver à un journaliste.

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2 Responses to Cinq leçons tirées de la pratique du journalisme de données dans un média traditionnel

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