Une équipe de journalistes allemands s’est penchée durant plusieurs mois sur les financements de projets européens par Google via sa « Digital News Initiative » (DNI). Le réseau Netzpolitik.org a monté une base de données qui recense autant que possible les projets financés par la multinationale en Europe, et interrogé divers acteurs concernés. Leur analyse suggère que si Google favorise ainsi des formes de créativité, la situation n’en est pas moins inquiétante pour l’indépendance du journalisme.
Le « loup-garou » est un jeu très prisé lors de nombreuses soirées festives. Au début de la partie, deux joueurs sont désignés « loups-garous ». La mission des autres participants, les « villageois », est simple : ils doivent collaborer pour identifier les loups-garous en leur sein et les disqualifier de la partie. Un maître du jeu – personnage qui n’est affecté ni par les destins des joueurs ni par la tournure du jeu – supervise et guide la partie.
Ce jeu, connu également sous le nom de Mafia, est aussi le préféré de Richard Gingras, responsable Actualités chez Google. Gingras aime à y jouer avec ceux-là mêmes qui étaient jadis les plus féroces critiques de Google : les poids-lourds de l’industrie des médias.
Tous les ans, Google organise un sommet intitulé Newsgeist. Cette rencontre a eu lieu à Copenhague en 2017, et à Lisbonne en juin 2018. Elle rassemble les plus grandes figures du journalisme et des maisons d’édition européennes. Cette année, la liste des invités comptait des grands noms, tel Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, et des directeurs de médias venus de toute l’Europe.
Au cours de la journée, les invités du Newsgeist débattent sur des questions comme : « Que peut apporter Google à l’actualité ? ». Le soir, place au whisky et au loup-garou. Le rôle favori de Gingras est celui de maître du jeu. Il est impossible de le disqualifier, et il conserve en tout temps le contrôle absolu. C’est à peu de chose près le rôle que Google aime aussi jouer dans le cadre du journalisme.
Un système d’exploitation pour le journalisme
Au cours des dernières années, Google s’est infiltré de plus en plus profondément dans un secteur essentiel au fonctionnement de la démocratie : le monde du journalisme. Cette stratégie a eu des effets durables. Il ne s’agit pas uniquement pour Google de faire concurrence aux éditeurs de journaux pour générer des recettes publicitaires. Une proportion de plus en plus importante des visites sur les pages de ces éditeurs provient de Google Search et de Google News – les sections Recherche et Actualités de Google. Quand les gens veulent regarder les nouvelles, c’est souvent sur YouTube qu’ils vont les chercher. Les sites d’information utilisent Google Analytics pour compter les visiteurs et stockent leurs contenus sur des serveurs Google par le biais de pages AMP, optimisées pour l’accès par mobile. Et si l’on veut accéder à des médias payants, il est désormais possible de s’abonner via « Subscribe with Google ».
Petit à petit, Google a constitué un écosystème dont aucun éditeur ne peut totalement se passer. On peut le qualifier de véritable « système d’exploitation » du journalisme.
Pourtant, dépassant ses intérêts économiques immédiats, Google est aussi à la tête d’un programme de 150 millions d’euros destiné à promouvoir l’innovation journalistique. La « Digital News Initiative » (DNI) a vu le jour en 2015, époque où de nombreux éditeurs de presse européens faisaient entendre des critiques virulentes envers Google, accusé de saper le modèle économique du journalisme.
La Digital News Initiative de Google a versé un montant total de 115 millions d’euros à des projets d’ordre journalistique au cours des trois dernières années. Le site netzpolitik.org a mené une analyse de données portant sur 447 projets soutenus par la DNI au cours de ses quatre premières vagues de financement. Nos données, fondées sur un registre de projets constitué à partir du site internet de la DNI puis l’examen de rapports complémentaires, mettent en évidence les destinataires des fonds distribués par Google – ainsi que le type de projets dans lesquels le géant d’Internet investit.
Depuis sa création, en 1998, Google s’est développé jusqu’à devenir l’une des entreprises les plus cotées au monde. La capitalisation boursière d’Alphabet, la maison mère de Google, dépasse les 800 milliards de dollars américains. Suivant les traces de Apple et Amazon, elle pourrait franchir bientôt le seuil du billion de dollars. À l’heure actuelle, la publicité en ligne reste la source principale de revenu de Google. Mais l’entreprise propose également des services dans les solutions web, la biotechnologie ou la cybersécurité – il y a de moins en moins de choses que Google ne puisse pas faire.
Google, un ami qui veut du bien au journalisme ?
Selon les estimations, Facebook et Google pris ensemble engrangent environ 85% de la totalité des recettes de la publicité numérique mondiales. De nombreuses entreprises de presse ont lourdement souffert de ce duopole ; l’hégémonie des deux géants a généré une pression considérable à tous les niveaux du modèle économique du journalisme. Or voilà qu’aujourd’hui, Google est la plateforme internet la plus appréciée des éditeurs, alors qu’on entend souvent critiquer Facebook.
Comment Google a-t-il acquis une telle popularité chez les éditeurs de presse ? La réponse se mesure peut-être en espèces sonnantes et trébuchantes. Google semble s’être transformé en mécène du journalisme, à la mode de la Renaissance. Rarement aura-t-on vu une entreprise privée donner autant de liquidités à d’autres entreprises privées, semble-t-il assorties de si peu de conditions.
Selon nos recherches, une grande partie des fonds distribués par Google est attribuée aux grands piliers des médias. 54% des financements proposés en Europe sont allés à des maisons d’édition commerciale historiques, sous la forme de projets du Trinity Mirror, du Telegraph Media Group et de Thomson Reuters au Royaume-Uni. Aucune de ces trois sociétés n’a répondu jusqu’ici à nos questions ni publié d’informations sur les montants reçus de la part du Fonds Google.
La majorité des organisations bénéficiaires ont été fondées avant 1998. La plupart d’entre elles (83%) ont leur siège en Europe occidentale. Le bénéficiaire-type des financements de Google est donc une institution de presse européenne, établie depuis longtemps, et à but lucratif. En comparaison, Google fait preuve de beaucoup moins de générosité vis-à-vis du journalisme non commercial. Seuls 10% des projets figurant dans nos données concernent des médias à but non lucratif ou de service public.
Où va l’argent de Google en Europe ? Parcourez les données à l’aide du graphique interactif (ou sur la page d’origine)
En cliquant sur l’un des champs proposés, vous pouvez explorer les données finales des projets et accéder à des informations supplémentaires sur les organes de presse et organisations financées par Google dans les pays concernés. En cliquant sur le nom d’une organisation, vous afficherez des informations complémentaires sur les projets financés. Pour revenir à la vue d’ensemble, cliquez sur « Google DNI » tout en haut à gauche.
« Un outil de com’ pour Google. »
La « News Initiative » de Google a beaucoup œuvré pour aider les éditeurs de presse dans leur quête d’innovation, selon Veit Dengler, PDG du groupe NZZ media en Suisse, et aujourd’hui cadre de direction chez Bauer Medien en Allemagne. Dengler préside le Conseil du Fonds DNI, qui décide de l’allocation des financements pour des projets d’envergure. Sur les dix membres du conseil figurant sur la liste publiée sur leur site, trois travaillent pour Google. Les autres proviennent des milieux universitaires ou du monde de l’édition. Au cours d’une réunion à Hambourg, fin août 2018?, Dengler a déclaré que la « Digital News Initiative » était aussi pour Google un instrument de relations publiques destiné à gagner les faveurs du secteur de l’édition de presse européenne.
Certains candidats aux fonds de la DNI, tels le Telegraph ou la NZZ, sont ainsi proches de ce Conseil ; c’est là un effet secondaire de l’interconnexion croissante du monde de l’édition de presse, phénomène favorisé par la tenue de manifestations comme le Festival international du journalisme que finance Google.
Dengler indique également que les décisions sur l’octroi des financements dépendent souvent de l’identité des candidats. Il explique que les décisions prises tiennent compte du caractère novateur des projets pour le marché concerné, mais aussi pour les entreprises qui les proposent. Dans les faits, cela revient à dire que les règles qui s’appliquent pour les éditeurs d’envergure ne sont pas les mêmes que pour les autres.
Nous avons contacté de nombreuses organisations de presse qui n’ont pas souhaité révéler les montants perçus de la part de Google. Les informations de DNI n’indiquent qu’une large fourchette de financement par classe de projet, par exemple de 50’000 à 300’000 euros pour des projets de taille intermédiaire. Nous ne sommes parvenus à retrouver les sommes exactes que pour moins de la moitié des projets (217 sur 447).
Google ne distribue pas tous ses fonds aux médias d’information. Un quart des financements est attribué à des organisations en dehors de l’édition proprement dite, comme notamment des start-ups qui développent des services dans ce secteur. Par exemple, 50’000 euros ont été octroyés à Trint, société qui développe un système de transcription par reconnaissance vocale.
Qu’est-ce que l’innovation dans l’univers Google ?
Nos données contribuent à faire la lumière sur ce que veut dire « innovation » dans le monde de Google. Parmi les projets que finance la DNI, quatre sur dix ont trait à l’automatisation et au journalisme de données. Par exemple, Google a soutenu à hauteur de 706’000 euros un projet conjoint de la Press Association, agence de presse du Royaume-Uni, et de la start-up Urbs Media, visant à mettre sur les rails un projet d’automatisation dans le domaine des informations locales.
L’industrie de l’édition de presse, qui a mis passablement de temps à se lancer dans l’innovation, utilise également les financements de Google pour développer de nouveaux formats audiovisuels et de nouvelles plateformes. Un projet DNI sur cinq, parmi ceux que nous avons étudiés, concernaient de nouvelles modalités de présentation de contenus, y compris la réalité virtuelle.
Les descriptions de projets sont souvent saturées de slogans accrocheurs dont le secteur est friand. Selon nos données, 8% des projets sont consacrés à la vérification des faits (« fact-checking ») et aux questions de crédibilité, 12% au renforcement de communautés (« community building ») et à la production participative (« crowdsourcing »). Les descriptions de projets dans ces domaines mentionnent souvent les termes « blockchain », « fake news », ou « hate speech », reprenant les mots-clés les plus à la mode aux conventions de journalisme ces dernières années.
Cependant, les financements de Google sont assortis d’une condition majeure : il ne s’agit pas de financer du contenu proprement dit, mais des projets qui « font preuve d’innovation ». Lors des dernières vagues de financement, le Fonds DNI demandait aux candidats de montrer en quoi leur projet créait « une plus-value économique pour l’entreprise ». En d’autres termes, le fonds promeut certains modèles d’entreprise. Parmi les projets que nous avons examinés, 5% ont pour objectif principal d’attirer des annonceurs en ligne, et 11% cherchent à créer des sources de revenu non lié à la publicité, comme des articles payants. Au premier coup d’œil, les projets semblent entrer en compétition avec les produits Google, alors qu’en réalité ils ne font souvent que compléter le cyber-écosystème actuel de Google.
Nourrir la machine à apprendre
La base de données des projets DNI révèle quelques bénéfices cachés que l’initiative recèle pour Google. En effet, un certain nombre de projets est basé sur des services Google. Par exemple, un développeur autrichien a reçu un financement pour prototype afin de développer VoiceAd, une application permettant aux utilisateurs de créer leurs propres publicités audio avec la synthèse vocale et l’interface de programmation AdWords de Google. D’autres projets utilisent Google Fusion Tables, ou s’appuient sur Google Actualités, les outils Google Trends et Analytics, ou encore exploitent des données provenant de YouTube. En diffusant ses services, Google renforce sa position dominante dans le secteur de l’édition de presse.
Pour Google, l’industrie des médias est étroitement liée à son cœur de métier : la collecte des données d’utilisateurs. Selon une étude menée par l’entreprise BuiltWith, analyste du web, 40 millions de sites actifs utilisent à présent Google Analytics pour le pistage de leurs visiteurs. Les sites d’actualité jouent un rôle prépondérant du fait de leur popularité. Beaucoup d’entre eux font usage de produits Google et aident l’entreprise à collecter les données de leurs utilisateurs.
Le rôle des médias d’information dans cette récolte des données a été récemment souligné dans une étude de Douglas C. Schmidt, de la Vanderbilt University. L’équipe de recherche a comparé les flux de données issus de téléphones mobiles fonctionnant avec Android, le système d’exploitation de Google, et ceux d’iPhone d’Apple. L’analyse a fait apparaître que les utilisateurs envoient des données à Google même lorsqu’ils n’utilisent aucun produit Google ou s’abstiennent de visiter des pages Google. « Ces données sont communiquées uniquement à partir de services de publicité et d’édition de presse, relève Schmidt. Les sites d’information aident Google à pister jusqu’aux utilisateurs les plus discrets d’Internet.
On ne rase jamais gratis
Un projet d’innovation peu connu en dehors du monde des médias offre un indice à propos du lien entre l’initiative DNI et les intérêts économiques de Google. Google a lancé son format AMP (Accelerated Mobile Pages – NDLR : il s’agit d’une technologie servant à accélérer l’affichage de certains contenus) en open source peu après le début de l’initiative DNI en 2015. Les sociétés de médias ont la possibilité d’héberger leur propre contenu AMP, mais beaucoup d’entre elles choisissent de les stocker dans les serveurs de Google. La technologie AMP a suscité récemment un essor du trafic sur les sites d’information comme l’indiquent des chiffres compilés par la société d’analyses Chartbeat. Toutefois, cette technologie a également ravivé les craintes du secteur face à une raison supplémentaire de dépendre de l’infrastructure de Google.
Le fonds Google soutient plusieurs projets basés sur la technologie AMP. Parmi ceux-ci, citons Poool, une start-up française qui élabore un « paywall » (système d’accès payant) optimisé pour les pages AMP. En théorie, ceci fait de Poool, bénéficiaire de 50,000 euros de la part de la DNI, un concurrent de l’offre « Pay with Google ». Mais en pratique, Poool a choisi un créneau de niche dont une multinationale comme Google pourrait prendre possession à tout moment, comme le confiait le fondateur de l’entreprise, Maxime Moné, lors d’une conversation téléphonique au mois de juillet : « Si Google veut récupérer le produit, ils le récupèreront ».
Les porteurs de projets financés par Google sont tenus de respecter certains délais et d’informer régulièrement le fonds DNI des avancées réalisées. Cela permet à Google de se rendre compte des idées de produits de leurs concurrents potentiels, pour le prix dérisoire de quelques milliers d’euros de financement.
Les conditions contractuelles énumérées sur le site internet de la DNI précisent que Google « peut créer, développer ou acheter de manière indépendante des produits, services, information ou supports, et parrainer, commanditer ou monter des projets relatifs ou similaires à la thématique de votre candidature ». Si la DNI venait à accoucher d’un projet de génie, Google pourrait être tenté de mettre sur pied un produit équivalent, beaucoup plus rapide et perfectionné.
Madhav Chinnappa, responsable des partenariats stratégiques pour les « news » et les éditeurs chez Google, assure que le fonds DNI est « expressément dénué de lien avec les produits Google et vise uniquement à stimuler l’innovation dans l’écosystème numérique des actualités en Europe ». Selon des propos tenus par Chinnappa et communiqués par e-mail à netzpolitik.org par l’intermédiaire d’un porte-parole, Google n’a jamais développé sa propre version d’un produit élaboré à partir d’un projet financé par la DNI.
Mais Google reconnaît que ses visées ne sont pas purement altruistes. « Effectivement, nous adoptons cette démarche parce que c’est une bonne idée pour nous, mais encore une fois, du fait de la nature de nos activités, nos objectifs s’alignent largement avec ceux des maisons d’édition », indiquait récemment le vice-président de Google, Richard Gingras, au cours d’une interview. « Eux, comme nous, ont besoin d’un internet ouvert et dynamique, et d’un écosystème de connaissance ouvert et dynamique, pour être réellement efficaces. »
Google : le rival devenu mécène
Google n’hésite pas à faire savoir aux éditeurs où réside son intérêt. À la veille d’un vote sur la réforme du droit d’auteur au Parlement européen, en juin 2018, Chinnappa a mis en garde les éditeurs de contenu contre les mesures proposées. Dans un email au groupe de travail DNI, dont le Financial Times a eu la primeur, Chinnappa écrivait que le projet de législation européenne sur les droits d’auteur et droits voisins, fondé sur le modèle allemand, était « mauvais pour l’écosystème de la presse », et l’obligation de filtrer les contenus « mauvais pour Internet ». Cet email se conclut par une invitation à contacter des politiciens à Bruxelles.
Le message de Chinnappa montre que Google est disposé à se servir de la Digital News Initiative au nom de ses propres intérêts financiers. Il n’est pas certain que cela ait fait changer d’avis beaucoup de monde ; un grand nombre d’éditeurs de presse sont de farouches partisans de ces droits voisins. Et pourtant, en envoyant un e-mail contenant des suggestions politiques très directes, l’entreprise a rappelé aux éditeurs de presse les enjeux que revêtent pour elle ce type de décisions.
Mais comment Google, considéré pendant des années comme un adversaire par les éditeurs du monde entier, a-t-il pu devenir leur partenaire ? Il y a quelques années, les politiques européens débattaient d’une « taxe Google » et de taxes spéciales pour financer le journalisme. Cependant, ces tentatives ont échoué face à la résistance de Google : la législation sur les droits d’auteur et droits voisins mise en place en 2013 en Allemagne a représenté une victoire pour Google au lieu de lui coûter de l’argent. Quand l’Espagne a introduit une taxe sur les liens vers les services de presse en 2014, Google Actualités s’est simplement retiré du marché.
La colère du secteur de la presse envers Google n’est pas retombée. Le Financial Times résumait ainsi la situation en 2015 : « Google a besoin d’amis en Europe ».
Mais Google a retenu la leçon, l’entreprise a appris à donner. Après un débat politique sur l’introduction d’une « taxe Google » sur les recettes issues de la publicité, Google a promis aux éditions de presse françaises un fonds de 60 millions d’euros pour « l’innovation numérique » en 2013 – créant ainsi le modèle de la Digital News Initiative.
Bourses de perfectionnement, conférences et recherche – où Google investit aussi
Les injections de liquidités de la part de Google dans le journalisme ne donnent aucun signe de ralentissement. Le fonds DNI a récemment été intégré à la Google News Initiative mondiale, pour soutenir divers type de programmes et de partenariat aux quatre coins du globe. Par exemple, le Google News Lab permet au géant de l’Internet de financer des bourses de perfectionnement pour des journalistes. (En toute transparence : l’auteur de cet article a bénéficié d’un tel financement en tant que journaliste invité auprès de l’Institut Reuters et en tant que boursier Google News Lab auprès de la NZZ à Zurich.)
Google octroie également des financements à des institutions du journalisme de toute l’Europe. L’Institut Reuters pour l’étude du journalisme (partenaire du site anglais de l’EJO) a reçu entre août 2015 et décembre 2018 un subside de 5’278’000 livres sterling de la part de Google pour son rapport annuel sur l’info numérique, le Digital News Report, ainsi que pour des projets connexes. Des financements supplémentaires ont récemment été promis à l’Institut.
Entre-temps, Google (de même que Facebook) est devenu l’un des grands sponsors du Festival international du Journalisme (International Journalism Festival) de Pérouse, l’une des plus grandes conventions de ce genre en Europe. En outre, Google couvre les dépenses liées à des projets et manuels de formations du Centre européen du journalisme, à Maastricht. Aucune de ces deux dernières institutions n’a dévoilé publiquement les montants reçus de Google. Les trois organisations citées insistent pour dire que le géant de l’Internet n’a aucune influence sur leur travail.
Le soft power de Google
Personne ne peut dire précisément à quoi aspire Google en investissant ces millions d’euros de parrainage. Une seule chose est à peu près sûre : les intérêts financiers de Google dans le secteur des médias ne font que s’accroître.
Mais que veut donc Google ? Joseph Nye, chercheur américain en sciences politiques, peut nous éclairer sur la question. Il a défini le concept de «soft power» – pouvoir d’influence non contraignant – comme la capacité de forger les préférences des autres par l’attrait et la fascination ; cela permet de mieux comprendre les efforts déployés par Google.
En effet, les fonds que donne Google aux institutions médiatiques et aux éditeurs de presse lui procure un « soft power » incommensurable. Ils permettent aussi à Google de protéger ses intérêts à long terme. De plus en plus, l’entreprise sort de sa fonction de simple moteur de recherche pour devenir une salle de contrôle de la production et de la diffusion des informations. Elle est en passe d’occuper une place incontournable dans l’industrie des médias et semble bien avoir déjà acquis davantage de pouvoir que les magnats de la presse d’autrefois.
L’entreprise fait tout, jusqu’ici, pour ne pas être perçue comme un acteur politique ; elle n’a jamais fait, ou jamais visiblement, usage de son pouvoir sur le journalisme pour influer sur le cours de la démocratie. Mais, pourrait-on se demander : et si elle changeait d’avis ?
Cet article a précédemment paru sur le site EJO anglophone, ainsi qu’en allemand sur netzpolitik.org.
Il y a quelque temps, EJO publiait une enquête sur la manière dont Facebook finançait des médias en Europe, alimentant ainsi sa plateforme et renforçant son emprise sur le journalisme.
Cet article est publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0). Il peut être republié à condition que l’auteur-e et EJO soient clairement mentionnés avec un lien vers cette page, mais le contenu ne peut pas être modifié.
Tags: enquête, financement, gni, Google, intérêts, médias, news initiative, recherche, Reuters