Le succès du podcast n’a pas échappé aux éditeurs de presse qui multiplient les créations audio depuis 3 ans. Presque aucun titre français ne manque à l’appel. Mais comment tirer réellement partie de ce format ? Quelques éléments de réponse avec des médias engagés dans la démarche.
Murmurer à l’oreille de ses lecteurs : un rêve pour les médias qui n’ont pas hésité à se lancer dans l’aventure du podcast. Seulement trois ans après les premières tentatives d’éditeurs français (on peut citer Tech off des Echos ou Chiffon de Grazia), on recense dans le secteur plus de 200 podcasts au premier trimestre 2021. Et entre Corps défendu (Ça m’intéresse en partenariat avec Causette), L’Enfer du banc (L’Équipe) et les toutes dernières productions podcasts de 2021, il y a de quoi murmurer.
Pour autant, tous les groupes médias ne sont pas engagés avec la même fougue. Certains ont choisi d’investir massivement dans le format comme Prisma Media, Le Figaro ou encore Ouest France avec son Mur des podcasts, tandis que d’autres sont encore en phase de test et se limitent dans leurs productions. La grande majorité des podcasts de presse comptabilisent au total entre 8 et 20 épisodes maximum, comme la plupart des podcasts de marque. Quelques distinctions sont à noter toutefois, avec par exemple L’envers du récit de La Croix ou Minute Papillon! de 20 Minutes, qui durent tous deux depuis plus de deux ans.
Ce qu’apporte le podcast à des médias déjà riches en contenus
Au même titre que des formats dits “nouveaux” comme le blog plus tôt, puis la vidéo, le live ou encore la datavisualisation, le podcast est venu s’intégrer dans la production des contenus des médias – traditionnellement spécialisés dans la rédaction écrite sur le format papier puis numérique. Ajoutant ainsi une nouvelle forme de narration et un travail supplémentaire de reportage et d’écriture, ou du moins d’adaptation lorsqu’il s’agit de contenus écrits transformés ensuite en version audio (comme c’est le cas du Flash éco de Capital par exemple).
Alors, que vient apporter le podcast à des groupes de presse qui ne manquent déjà pas de contenus et de formats de production ?
La raison la plus évidente, c’est le développement des audiences. Le podcast est un outil de prédilection pour faire (re)découvrir le média et retrouver une confiance avec les lecteurs. Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien-Aujourd’hui en France, a confié à l’Obs :
D’après une étude, ceux qui écoutent “Code source” ont trois fois plus de chance de rester des abonnés numériques. Certains nous confient avoir découvert la qualité du travail de la rédaction alors qu’ils n’étaient parfois pas lecteurs et pouvaient même avoir une mauvaise image du journal…
En proposant de nouveaux contenus originaux de qualité et en renouant ce lien de confiance, le podcast de presse devient une vitrine de l’offre complète des rédactions et des médias qui les abritent. En somme, un possible premier pas vers un téléchargement de l’application mobile, ou même en conversion en abonnement.
Le podcast est également largement plébiscité par une population souvent recherchée des médias : les jeunes générations de 20 à 35 ans. Dans une étude présentée au Paris Podcast Festival de 2019, Havas et le CSA ont dressé le portrait robot des auditeurs de podcast : 58% ont moins de 35 ans, ils sont plus citadins que la moyenne des français, principalement étudiants ou cadres. A noter qu’ils ont déjà l’habitude de consommer des médias ainsi que d’autres produits culturels (radio, livres, séries, etc.) et se distinguent par leur hyper-connectivité. Une aubaine pour les groupes de presse peut-on penser.
Il faut ajouter que cette production audio répond à de récents usages de consommation des médias, désormais détachés d’une grille de programme. Des usages largement incarnés par ces jeunes générations. Avec le podcast, on choisit l’épisode, quand et où on veut l’écouter, sans s’astreindre au format papier ou digital, plus cadré et rubriqué.
Et le résultat est là. Le journal Ouest France par exemple a constaté que ses podcasts, notamment ceux dédiés au sport, lui amènent une audience plus jeune – bénéficiant dans le même temps d’une couverture beaucoup plus large que celle du territoire couvert. C’est également le cas pour Prisma Media qui confie que leurs « audiences podcast sont en partie complémentaires à nos audiences historiques ».
Pour ces derniers, le podcast a par ailleurs cet avantage de combler d’autres moments d’attention disponibles, que les groupes de presse ne pouvaient pas toucher jusqu’ici. « L’audio permet une consommation à des moments où notre audience ne peut pas forcément s’intéresser à notre contenu – lorsqu’elle se rend au travail ou accomplit des tâches ménagères, par exemple » spécifie Gwendoline Michaelis, Directrice Exécutive du Pôle Premium et Chief Audio Officer chez Prisma Media.
Des ressources allouées en demi-teinte
Pour aller chercher ce graal et de nouvelles opportunités de découvertes, le podcast se présente comme un pari prometteur. Mais assurer une production à part pose la question des ressources : qui pour s’occuper de l’écriture et de la réalisation ? Quels moyens à disposition ? Et quel temps dédié en fonction de la fréquence de publication ?
Même si la majorité des groupes de presse écrite se sont lancés en 2019, certains voient encore dans le podcast une forme de test. On ne peut pas dire que les investissements aient été massifs pour la production de ces créations audios, la plupart des médias étant restés sur du (presque) tout-maison.
Interrogé en mars 2021, Edouard Reis Carona, rédacteur en chef délégué en charge du numérique et l’innovation chez Ouest-France, s’est confié sur leur organisation interne. Le travail autour des podcasts occupe trois autres personnes, dont un profil chargé de production et un journaliste audio. En plus, le groupe s’appuie sur ses 500 journalistes qui peuvent proposer des contenus et contribuer à la création. Ils ont l’avantage d’être épaulés dans la structuration du discours et la prise de parole par le journaliste audio. La personne chargée de la production s’occupe plus précisément du montage des épisodes, de la musique et de la diffusion. Ensemble, ils exercent au sein d’un studio, construit au cœur du siège, qui permet d’accueillir au total entre 7 et 8 personnes avec une régie intégrée. Les rédactions en local sont quant à elles équipées de micros pour smartphones. Ce choix d’une structure maison permet de “ne pas être déconnecté de la rédaction” selon Edouard Reis Carona. Une condition sine qua non qui semble être partagée par beaucoup d’autres titres de presse lancés dans le podcast.
Gwendoline Michaelis explique que toutes les productions audio sont également faites en interne au sein du groupe Prisma Media:
Aujourd’hui [Ndlr : mars 2021], dix personnes travaillent dans l’équipe audio, dont 2,5 à temps plein. Les expertises transversales ainsi que les équipes éditoriales consacrent une partie de leur temps aux podcasts, alors que des sound designers par exemple travaillent uniquement sur cette activité audio.
Pour Christophe Israel, directeur adjoint de la rédaction de Libération, le podcast est “un métier qui s’apprend”. C’est en tous cas ce qu’il a expliqué lors d’une table-ronde de l’édition 2019 du Paris Podcast Festival. Un constat partagé par ses interlocuteurs. Alexis Delcambre du Monde stipulant alors que, même si le groupe bénéficie des profils en interne ayant déjà fait de la radio, ils ont dû s’entourer de spécialistes comme le journaliste Thomas Baumgartner. Le groupe Les Echos-Le Parisien s’est quant à lui démarqué grâce à la prise de participation dans Binge Audio. Le studio spécialisé les a au début accompagnés dans leurs créations, en particulier sur la réflexion sur le concept, le travail sur la voix et le casting des réalisateurs.
Pour le journal L’Équipe, un article de mars 2021 de Mind Média mentionne que pour leur dernière création podcast L’enfer du banc : “les propos sont recueillis par un journaliste de la rédaction, la captation audio et l’édition sont réalisées en interne tandis que la réalisation est externalisée auprès d’un spécialiste.” Des pratiques qui confirment cette tendance dans laquelle se situent les médias producteurs, entre du “presque tout interne” et le soutien d’acteurs professionnels du podcast.
Certains groupes de presse vont plus loin dans leur stratégie et organisation en s’entourant volontairement de tiers producteurs. En plus de la trentaine d’émissions produites par Ouest France, le journal a décidé de compléter son offre avec les podcasts de 8 autres producteurs indépendants partenaires. On peut par exemple citer l’émission Pleine lucarne produite en partenariat avec la chaîne de télévision locale TVR. Pour ces 13 émissions podcasts partenaires, Ouest France a voulu se positionner comme un accompagnateur désireux de rendre davantage visible des projets de qualité. Ces programmes sont sélectionnés par les équipes du journal, notamment sur un aspect éditorial. Toutefois, Edouard Reis Carona est clair : Ouest France ne leur impose rien, pas même la fréquence de publication, qui reste complètement libre et arbitraire (certaines émissions s’arrêtant parfois plusieurs mois). Et pour renforcer leur force de frappe, Ouest France a collaboré puis racheté en 2019 la plateforme Saooti, puis créé la solution Octopus aux côtés d’autres groupes médias. L’objectif étant de garder une plus grande indépendance face aux géants du streaming.
Un modèle économique encore en phase de test
Lorsqu’il évoque les débuts du podcast au sein de Ouest France, Edouard Reis Carona explique qu’ils ont procédé en “test and learn” afin de voir si le medium leur permettait de rencontrer une nouvelle audience. Et si ce canal de distribution particulièrement approprié “aux médias modernes qui doivent toucher tous les publics” trouvait in fine son marché. La première étape de mesure a été d’évaluer l’audience touchée, son engagement, notamment au travers du temps d’écoute passé (le taux de complétion). Ses observations lui ont permis de progressivement structurer et densifier le projet pour arriver en 2021 à un dispositif bien installé.
Edouard Reis Carona rapporte également qu’il a conscience que “le podcast coûte moins cher que la vidéo” et que ce peu d’investissement restait “raisonnable pour créer de la valeur éditoriale, plus que d’aller chercher une nouvelle ligne de revenu”. Le média a d’ailleurs rapidement su s’entourer d’annonceurs pour certains de ses programmes podcasts via la régie nationale 366. Sur leur podcast consacré au Vendée Globe, ils ont par exemple été accompagnés par le Conseil départemental. Même si le rédacteur en chef délégué sait que “le marché n’est pas encore mature et que l’on doit réussir à démontrer que ces investissements publicitaires rapportent”, il constate que de plus en plus d’annonceurs se montrent curieux et intéressés par ce format. En conquérant ce nouveau territoire publicitaire, les titres de presse se rapprochent de leurs cousins de l’audio et de l’audiovisuel.
En ce qui concerne le pôle Audio de Prisma Media, Gwendoline Michaelis témoigne d’une « très belle année 2020 en termes de monétisation. Malgré le contexte atypique, le chiffre d’affaires a été multiplié par sept […] avec des revenus publicitaires et des revenus liés à la production».
Le journal Le Monde partageait avec L’Obs en février 2021 ses avancées sur le modèle économique associé. Si leurs équipes ont testé des modèles plus originaux comme le financement par des plateformes (pour ses deux premières productions, Spotify avait acquis les droits de diffusion), elles ont également constaté le succès de la traditionnelle publicité. Dans ce même article, Alexis Delcambre annonce que la viabilité de ce modèle permet au média de désormais abriter une équipe dédiée, composée de six personnes de la rédaction.
En tant que nouveau format de contenus, les journaux ont rapidement pensé à l’intégrer dans leurs offres d’abonnement. Le modèle de l’abonnement étant par ailleurs l’une de leurs spécificités en tant que média. Mais certains questionnements s’imposent d’eux-mêmes : faut-il inclure les podcasts dans une offre existante ? Ou créer une offre dédiée au podcast ? Doit-on y mettre tous les programmes ou garder la gratuité sur certains ? Comment expliquer cet accès restreint à une audience habituée à de l’écoute gratuite ?
Nouvelle piste d’exploration proposée cette fois par L’Équipe : son dernier-né L’enfer du banc datant de mars 2021 sera réservé aux 300 000 abonnés en ligne, alors que les autres podcasts du titre sont tous en accès libre. Le directeur de la rédaction Jérôme Cazadieu déclare à Mind Média qu’en suivant cette stratégie:
L’objectif est de fidéliser et conquérir de nouveaux abonnés et les podcasts sont l’un des formats pour y parvenir. A l’avenir, les podcasts de “talks” devraient demeurer gratuits mais les autres podcasts devraient être accessibles seulement aux abonnés.
Pour Edouard Reis Carona de Ouest France, il reste tout de même « plus facile de vendre du podcast dans une offre d’abonnement globale qui donne accès à pleins de contenus ». L’idée de créer une offre dédiée uniquement aux podcasts ne leur semble absolument pas pertinente. Premièrement en raison des usages déjà bien ancrés, mais aussi en raison de la vocation originelle du podcast, souvent décrit comme la radio pirate du 20ème siècle. Finalement, vis-à-vis des pratiques actuelles et de la structuration même des groupes de presse, ni la piste du tout gratuit ni celle du tout payant ne semble pérenne.
Déterminer les conditions d’accès en fonction du format du podcast (et sous-entendu du temps passé et des ressources investies) comme pour L’Équipe, reste donc une des voies qui s’offrent aux journaux désireux de monétiser leurs productions.
De façon générale, un modèle viable semble être en train de se dessiner pour les groupes de presse. Et dans cette démarche de structuration et de monétisation, ils contribuent implicitement à la professionnalisation du podcast, enjeu phare du format en 2021. De plus, l’intégration des rédactions permet d’assurer une approche éditoriale intelligente et durable. Mais pour véritablement pouvoir parler d’une pérennisation du modèle, la prochaine étape doit être celle de l’association du podcast dans la stratégie globale : revenus publicitaires couplés ou encore abonnements couplés ? Même s’il ne peut pas y avoir de recette toute faite, c’est lorsque le podcast sera appréhendé au même rang que d’autres formats de contenus qu’il trouvera certainement sa place dans un modèle stable.
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Tags: audio, nouveaux formats, podcast
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