Une étude du Global Disinformation Index (GDI) a passé au crible 30 médias français, et en a tiré un classement de leur risque à désinformer. Résultat : plus de la moitié présente un risque moyen de désinformer. Manque de transparence, de diversité, et d’engagement: face aux fake news et à la méfiance du public, la majorité des médias français peuvent mieux faire.
2020: l’année de la désinformation
Après une année éreintante, où l’épidémie de Covid-19 s’est accompagnée d’une «infodémie» et d’une avalanche de théories du complot, les méfaits de la désinformation ne sont plus à prouver. Faciles et rapides à produire, parfois lucratives, et assurément corrosives, les «fake news» pullulent dans un écosystème numérique qui les favorise.
Dans la lutte contre cette hydre du 21e siècle, le journalisme demeure l’un des acteurs ayant un des rôles les plus importants à jouer. Garants historiques d’une information fiable, vérifiée, et de qualité, les médias sont un pare-feu face au doute.
Face à l’infodémie, des médias robustes?
Mais alors qu’un rempart à la désinformation est plus que jamais nécessaire, les médias sont dans une position délicate. Embourbés dans une crise à la fois financière et fiduciaire, sous-produit partiel de ce même écosystème dominé par les plateformes et réseaux sociaux, les médias français ne convainquent pas : d’après une étude du Reuters Institute, seulement 10% des utilisateurs en ligne auraient souscrit un abonnement payant, et seuls 13% font confiance aux actualités sur les réseaux sociaux.
Si les revenus publicitaires des médias ont tendance à se réduire, la consommation d’information en ligne n’a pourtant pas cessé d’augmenter ces dernières années. Le marché de la publicité en ligne, quant à lui, continue de grandir, de plus en plus concentré sur la programmatique.
L’étude du GDI: évaluer le risque de désinformer
Dans ces conditions, la question de la robustesse du paysage médiatique se pose. Pour y répondre, l’étude du Global Disinformation Index a établi un classement de 30 médias français, leur attribuant une note et une catégorie de risque à désinformer.
Avec une approche mélangeant analyse humaine et artificielle, le classement de ces médias a été effectué selon plusieurs indicateurs basés sur les standards établis par la Journalism Trust Initiative de Reporters Sans Frontières. Le but: évaluer le risque de désinformer des médias d’après leurs articles publiés, l’accessibilité des informations relatives à leur domaine, et enfin leur réputation au long terme.
Les grand gagnants: Le Monde, Les Echos, Médiapart
Globalement, d’après cet échantillon, les médias se divisent en trois groupes: une majorité avec un risque moyen, un groupe avec un risque élevé ou maximum, et un groupe avec un risque faible ou minimum. La meilleure note d’ensemble revient à Le Monde, tandis que Les Echos se distinguent en termes de qualité de contenu.
En termes d’exemplarité au niveau du domaine, c’est Médiapart qui remporte la palme, son site se distinguant par sa transparence et son engagement explicites envers le public. Les sites à haut risque de désinformer quant à eux réussissent à se construire une façade de crédibilité en imitant l’apparence des médias établis, par exemple en recopiant leurs contenus, et en faisant une différence claire entre les contenus d’opinion et d’actualité.
Intégrité opérationnelle et éditoriale: d’importantes lacunes
Les indicateurs où les médias français peuvent particulièrement s’améliorer se situent au niveau de leurs opérations, et de leur transparence envers le public sur leur domaine.
En effet, d’après cet échantillon, 75% des médias n’ont aucune déclaration d’indépendance éditoriale. De plus, seulement 4 médias sur 30 font preuve de transparence totale sur leurs sources de financements. Enfin, seulement 3 médias sur 30 ont mis en place des mesures de rectifications en cas d’erreurs sur leurs contenus, un signal dont l’absence peut facilement induire le public en erreur. La présence de rectifications est également un indicateur influant positivement sur la réputation à long terme d’un média.
Ces indicateurs peuvent être considérés comme un signe d’engagement et de transparence envers le public, et leur absence est inquiétante. De plus, ces résultats semblent confirmer les inquiétudes des français collectées par une autre étude, qui avait déjà souligné l’absence d’indépendance éditoriale et de transparence sur les financements comme une source de méfiance des français envers les médias.
Contenus des médias: des portes ouvertes à la désinformation?
Si les notes reçues pour les opérations sont basses, les médias français s’en sortent beaucoup mieux en termes de contenu. Ces contenus sont dans l’ensemble plutôt fiables et non corrélés aux opérations, ce qui veut dire qu’une mauvaise note aux opérations peut être accompagnée d’une bonne note au contenu. Les indicateurs de désinformation incluent les discours de haine, le sensationnalisme, la non récence d’un événement, la tonalité, le fait que le thème ne soit pas couvert par d’autres médias, et l’absence de signature. Ces indicateurs sont par ailleurs fortement corrélés entre eux. Ainsi, plus un article sera sur un événement récent, et couvert par d’autres médias, moins il aura de chances d’être sensationnaliste, et de contenir des discours de haine ou un ton incendiaire.
En revanche, cela marche aussi à l’inverse: moins le thème de l’article est couvert par d’autres médias, plus il aura tendance à contenir ces indicateurs de désinformation. Cette corrélation peut suggérer que le fait que les médias établis couvrent les mêmes thèmes d’articles et de façon répétitive, avec une tonalité peu biaisée, peut créer un certain vide sur d’autres sujets où des sites à haut risque de désinformer peuvent s’engouffrer, nourrissant ainsi leur discours de «vérités cachées».
L’influence des plateformes sur la fragilité du journalisme
Dans un contexte où les moyens des rédactions s’amoindrissent, pouvant ainsi favoriser la recopie de dépêches d’agence de presse plutôt que le travail de terrain, l’absence de représentativité et de diversité des points de vue et thèmes abordés est une vraie fragilité. Des événements récents ayant secoué la profession journalistique, tels que les Gilets Jaunes ou la Ligue du LOL, illustrent par ailleurs l’urgence de cette question.
Mais ce contexte est également fortement marqué par les tendances dictées par le duopole Facebook- Google, dont les conséquences sont aussi observées dans cette étude. En effet, d’une part, le modèle d’affaires actuel d’internet tend plutôt vers la production en masse de contenu, dans l’optique de générer des revenus publicitaires, ce qui permet à la fois la prolifération de désinformation, et qui pourrait aussi expliquer la répétition des thèmes d’articles et le bâtonnage de dépêches mentionnés ci-dessus.
D’autre part, dans cette course aux clics, les médias ont pu par le passé recourir à des titres pièges-à-clics, bien que certains médias amorcent actuellement avec plus ou moins de succès une transition vers des modèles payants. Malheureusement, l’étude du GDI indique que, même si les médias ne font plus usage de titres pièges-à-clics, leur réputation en souffre encore aujourd’hui. Ainsi, l’ensemble des médias français de cet échantillon sont perçus comme sensationnalistes pour cette raison, cet indicateur étant aussi fortement corrélé à une perception de contenus moins fiables et moins exacts.
Quelles pistes pour l’avenir?
À l’heure où les contenus de qualité s’enferment derrière des paywalls, et où les publics seront de plus en plus vulnérables à l’incertitude causées par les crises passées et à venir, il est urgent de solidifier l’écosystème journalistique et d’assurer son bon fonctionnement en tant que garant d’une information fiable.
Si les résultats du GDI ne font que confirmer des inquiétudes de longue date, et alors que l’état actuel d’internet accélère une crise de confiance déjà bien installée, face à la menace de la désinformation, la réponse des médias dans leur ensemble pourrait être la suivante:
- appliquer des standards d’intégrité éditoriale et opérationnelle servant de freins et contrepoids;
- faire preuve de transparence sur les sources de financements et les propriétaires,
- limiter les contenus «piège-à-clics»,
- améliorer la représentativité et diversité des points de vue. Au-delà des fake news, cette réponse pourrait aussi durablement reconstruire un lien de confiance et d’engagement envers le public.
Pour en savoir plus sur la méthodologie du Global Disinformation Index, c’est ici.
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Tags: désinformation, fake news, financement, Global Disinformation Index
bel article. Merci d’avoir publié des informations comme celle-ci