Co-construire son média avec ses lecteurs dans la durée, c’est possible. La preuve avec Kids-Matin.

9 décembre 2020 • Formats et pratiques, Innovation et numérique, Récent • by

Kids-Matin a impliqué ses futurs abonnés dans la conception du média. / Crédit Photo : Kids-Matin

Lancé en septembre 2018, Kids-Matin, l’offre des 7-12 ans du quotidien français Nice-Matin, avait pour objectif d’être un média co-construit avec ses lecteurs. Dans deux articles Medium, Damien Allemand, responsable numérique du journal, expliquait en novembre 2017 et août 2018 comment les parents et les enfants avaient été sollicités sur la tranche d’âge à privilégier, les thématiques à aborder ou encore le prix de l’abonnement. Un groupe de 200 pré-abonnés avaient bêta-tester l’offre durant l’été précédent le lancement et avait ainsi permis d’affiner la proposition éditoriale et l’expérience utilisateur du site.

Qu’en est-il de cette promesse de co-construction 2 ans plus tard ? Comment Kids-Matin interagit avec ses lecteurs ? Ont-ils toujours autant de place dans l’élaboration du média ? Sandrine Beigas et Aurélie Selvi, les deux journalistes de Kids-Matin, ont répondu à nos questions.

Des kids reporters

Parmi les demandes qui avaient été formulées par les parents avant le lancement de Kids-Matin, le média devait non seulement produire des contenus de qualité, mais aussi impliquer les enfants dans leur conception, leur apprendre à écrire, à produire des vidéos.

Défi accepté ! Kids-Matin propose des expériences journalistiques aux enfants. Dans deux formats vidéos “Un pas vers l’avenir » et “Good news”, les abonnés partent en reportage avec une des journalistes de l’équipe, dans le premier cas pour découvrir d’un métier et dans l’autre pour interviewer une célébrité.

Les enfants ne votent pas sur le choix des sujets (comme le fait Nice-Matin avec les adultes), mais ils sont invités à poser des questions sur les sujets d’actualité sélectionnés par les journalistes qui les transmettent ensuite aux experts. Certaines semaines, des articles sont écrits par les lecteurs, comme cette chronique sur un jeu vidéo rédigée par un lecteur de 10 ans.

Aurélie Selvi, pour qui Kids-Matin est une première expérience en presse jeunesse, est enthousiaste :

Kids-Matin m’a permis de dépoussiérer ma pratique journalistique avec tous ces nouveaux outils numériques. Être au contact des enfants est aussi enrichissant, ils sont moins consensuels que les adultes, et leurs questions sont rafraîchissantes. Cela contribue aussi à questionner mes habitudes.

Pour Sandrine Beigas, l’aspect « éducation aux médias » de son travail de journaliste est une véritable « mission ».

Quand on part en reportage avec eux, on a un devoir d’exemplarité. On sait que l’on fait quelque chose d’utile.

Peu d’échange sur les réseaux sociaux, mais un chat sécurisé sur le site

Les abonnés de Kids-Matin étant trop jeunes pour être sur les réseaux sociaux, la présence du média sur ces plateformes sert surtout à échanger et montrer le travail réalisé aux parents, via un groupe public Facebook ou des stories sur Instagram principalement.

Quant aux enfants, les contacts se font via un chat sécurisé. Si tous n’osent pas l’utiliser, les journalistes reçoivent quelques dizaines de messages par semaine, et jusqu’à 50 par jour durant le confinement, auxquels elles répondent individuellement.

Un abonné reconnaissant pendant le confinement. / Crédit Photo : Kids-Matin

Le chat n’est pas conçu comme un réseau social entre abonnés, mais les enfants ont trouvé la parade : ils échangent via les commentaires de certains articles.

« Il est difficile de faire des appels aux commentaires », explique Sandrine Beigas. « Les enfants sont très volatils, ils commentent ce qu’ils veulent et on ne sait pas toujours pourquoi certains posts génèrent de l’engagement (et pas toujours sur le sujet traité !) et d’autres pas. Ils utilisent aussi le chat pour nous poser des questions, proposer des sujets ou prendre de nos nouvelles. »

Certaines questions des abonnés deviennent des sujets traités par les journalistes de Kids-Matin.

Un contact rapproché avec les parents

Kids-Matin accorde une importance particulière à sa relation avec les parents des abonnés. Que ce soit pour autoriser leurs enfants à participer à un reportage ou valider le choix d’un cadeau dans la boutique que les abonnés cumulent grâce à un système de gamification dans le site, les parents sont vite informés de ce que font leurs enfants.

Aurélie Selvi explique que le contact avec les parents ne se limite pas à de simples mails :

Nous contactons régulièrement des parents par téléphone. Ils nous aident à faire le lien avec les enfants, ils sont très importants non seulement pour que l’on réalise nos projets, mais aussi pour les feedbacks directs qu’ils peuvent nous faire. C’est une relation de confiance qui se construit dans le temps.

À noter que ce sont les parents qui décident du prix de l’abonnement qui est fixé à 1 euro minimum par mois. En moyenne, les contributions sont plutôt autour de 5 euros, une récompense qui en dit long.

Se renouveler sans cesse

Produire de l’info pour les enfants nécessite une bonne dose de créativité. Ils adhèrent aussi vite qu’ils ne se lassent et les journalistes redoublent d’imagination pour mettre en forme leurs sujets, des podcasts à la websérie « famille zéro déchet », en passant par la BD ou le stop motion.

 

Rien n’est gravé dans le marbre. Les formats évoluent et on en teste de nouveaux tout le temps. Il n’y a aucune limite pour mettre en forme l’info, témoigne Aurélie Selvi.

Sandrine Beigas complète en précisant l’importance d’avoir un responsable numérique qui leur fait confiance, qui les laisse libres d’innover et de prendre des risques.

Kids-Matin compte aujourd’hui 400 abonnés. Les premiers abonnés ont désormais grandi, et le journal « n’est pas loin de son point de bascule », selon Aurélie Selvi. « La lecture de la presse jeunesse correspond à un moment de vie. Nous devons donc sans cesse nous renouveler pour approcher différemment d’autres enfants. »

Plusieurs options sont aujourd’hui en discussion. L’offre jeunesse deviendra peut-être un titre bi-media avec une édition hebdomadaire papier disponible en kiosque pour cibler les familles qui ne souhaitent pas exposer leurs enfants aux écrans.

Kids-Matin travaille aussi sur un abonnement pour les écoles afin de travailler de manière plus étroite avec elles, sur des sujets en lien avec les programmes scolaires et via des interventions d’éducation aux médias. Après une enquête en ligne auprès d’une cinquantaine d’instituteurs de la région, le projet semble convaincre et permettrait à Kids-Matin d’être au plus près de ces lecteurs.

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