La diversité des radios en Afrique de l’Ouest face aux obstacles numériques

16 février 2023 • Déontologie et qualité, Formats et pratiques, Innovation et numérique, Médias et politique, Récent • by

L’animatrice-journaliste Fati Amadou de la radio « La voix de la Tapoa » de Say, au Niger.

A l’occasion de la Journée mondiale de la radio, qui a eu lieu le 13 février, l’EJO propose une série d’articles en lien avec ce média dans le monde. Ce travail revient sur la situation en Afrique de l’Ouest, où la radio reste le moyen de communication principal

En Afrique, la radio reste le moyen de communication classique le plus répandu. Il est aussi le mieux adapté aux réalités socioculturelles africaines. C’est sans doute pour cette raison que la radio est le média le plus diversifié, du point de vue du paysage radiophonique, des formats ou des orientations programmatiques. Le monde de la radiodiffusion en Afrique est un champ très ouvert et constitue pratiquement un univers. Nous allons illustrer brièvement ce propos à travers le cas de l’Afrique de l’Ouest.

Une diversité dans les structures et dans les genres

À l’image de l’explosion des radios libres au début des années 1980 en France, l’Afrique a vu voler en éclat au début de la décennie suivante le monopole longtemps exercé par les États en matière de radiodiffusion. Toutes sortes d’initiatives ont été tentées, conduisant à un foisonnement de structures et de genres. Les instances de régulation, pourtant nées concomitamment,[1] ont mis du temps à mettre de l’ordre en empruntant des catégories au paysage médiatique occidental fait de radios publiques, privées commerciales et privées associatives.

Cependant la réalité locale est plus complexe, les critères utilisés pour la catégorisation ne permettant pas de définir clairement des lignes de démarcation. Trente ans après la libération du secteur, ce problème n’est toujours pas réglé. La catégorie la plus floue reste celle des radios dites communautaires, la notion désignant dans un sens large les anciennes radios rurales promues dans les années 1960-70 par l’UNESCO, des radios publiques locales ou publiques ciblant une communauté ethnique, des radios associatives, des stations privées locales, et d’autres se rattachant à des catégories démographiques (les femmes et les jeunes au Burkina Faso, au Togo…), professionnelles (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, commerçants, etc. au Burkina Faso, au Ghana, au Mali, au Togo…), culturelles (ethnique ou pas, Ghana, Togo…) ou confessionnelles (dans tous les pays) alors que leur fonctionnement est assez hétérogène. Même la catégorie privée commerciale n’a pas vraiment le sens qui lui est accordé dans les pays occidentaux, la part des recettes issues de la publicité n’étant pas un critère suffisant pour délimiter ce champ. La programmation ne facilite pas plus la tâche.

Un format généraliste répandu

Celui qui écoute les radios africaines conclura rapidement que ce sont des stations généralistes, au sens où il existe peu de radios thématiques. De fait, il y a très peu de chaînes musicales et les radios confessionnelles dont on attendrait des programmes uniformément religieux se soucient du développement social, culturel, économique, éducatif au point de devenir des doublons de leurs consœurs associatives et communautaires. S’observent également des radios commerciales assurant un service religieux digne des radios confessionnelles. Elles semblent toutes investies des mêmes missions. Tant et si bien que Cheikh Tidiane Thiam et Demba Sy disaient, dans une étude réalisée en 1997 pour l’Institut Panos Afrique de l’Ouest[2], que « lorsqu’il s’agit de radios privées associatives ou commerciales, celles-ci tendent à se rapprocher les unes des autres ou à se confondre, moins du fait de statuts juridiques voisins que du fait de buts et de modes d’action similaires. »[3]

Le format généraliste s’est imposé partout. Pour tenter une explication, il faut reconnaître que c’est parce que les priorités et les contextes ne favorisent pas une très grande spécialisation en matière d’option programmatique. En Afrique, les besoins sont partout les mêmes et ont partout la même urgence. Les promoteurs de radios partagent donc les mêmes missions. De plus, en milieu semi-urbain et rural, souvent une seule station est présente. Quel que soit son statut, elle se sent obligée d’assurer un service public. Enfin, dans certains pays (au Burkina Faso, Bénin, par exemple), c’est le cahier des charges du régulateur qui impose ce format, les radios devant consacrer 20 à 40 % de leurs programmes au développement socioculturel et économique local. L’autre facteur de diversification des programmes constitue l’assignation de missions aux radios locales par les organisations non gouvernementales qui commandent des programmes radiophoniques afin d’appuyer leurs actions auprès des populations.

Le défi de la numérisation

L’actualité des radios en Afrique de l’Ouest est aussi le défi de la numérisation. Ce processus n’épargne aucun secteur d’autant qu’au-delà de la mode, la marche forcée vers le tout numérique semble bien engagée, une évolution contrainte que Pierre Martinot résumait en 2015 en ces termes : « Il faut intégrer les nouvelles technologies à son projet média ou mourir ! »[4]. À ce propos, il faut reconnaître que les radiodiffuseurs africains qui le peuvent proposent des contenus via des canaux satellitaires et sur Internet. Ces deux modes de diffusions renouvellent aujourd’hui les audiences en donnant aux radios locales une présence internationale, grâce notamment aux programmes destinés aux membres des différentes communautés linguistiques disséminées dans la diaspora.

Au niveau local, l’espoir était plutôt partagé que, grâce au téléphone mobile, notamment le smartphone, la diffusion numérique élargisse l’audience communautaire. Malheureusement, alors même que WhatsApp fait flores même dans les milieux ruraux, le récepteur analogique demeure l’outil privilégié pour l’écoute radiophonique. Mais parfois aussi, à l’instar de radio Tabalé de Bamako (Mali), s’installe une résistance des promoteurs de radios communautaires, craignant que ces innovations technologiques leur retirent une part de leur liberté de production. Son directeur disait à ce propos en 2017 que « Si nous résistons, c’est parce que nous avons des raisons de craindre que les États ne régentent les outils de diffusion. Il va y avoir des enjeux de pouvoir. Avec la radio numérique quelqu’un peut appuyer dans son bureau sur un bouton et silence radio, alors qu’avec la FM il faut une descente de la police. »[5]

Les craintes vis-à-vis du pouvoir économique existent aussi. « Le numérique va imposer les formats et des standards. La publicité va donc être imposée à tous », explique-t-il encore. Mais les radios de proximité ont également peur que la diffusion sur internet dilue voire dénature leur identité propre. Elles pensent que la numérisation peut leur faire perdre le contact direct avec leurs communautés. C’est pour cette raison que tout en faisant l’effort de numérisation entraînant leur rayonnement au-delà des territoires de diffusion hertzienne, les radios renforcent leur ancrage local et identitaire, grâce à l’usage préférentiel des langues vernaculaires, la diffusion de la musique du cru et des annonces communautaires.


[1] Le 25 mai 1991 au Sénégal, le 27 décembre 1991 en Côte d’Ivoire, le 22 août 1992 au Bénin, le 1er août 1995 au Burkina Faso, le 21 août 1996 au Togo, etc.).

[2] L’IPAO (Institut Panos Afrique de l’Ouest) est une ONG (Organisation Non Gouvernementale) africaine œuvrant du développement des médias (Médiadev) aussi bien que de la communication pour le développement (C4D).

[3] Cheikh Tidiane Thiam, Demba Sy et al., Législations et pluralisme radiophonique en Afrique de l’Ouest, Paris/Montréal : L’Harmattan, 1997.

[4] « L’avènement de l’Internet et de la téléphonie mobile dans les rédactions africaines », In Frère Marie-Soleil (dir.), Médias d’Afrique vingt-cinq années de pluralisme de l’information (1990-2015), Paris : Karthala, 2015, pp. 161-171.

[5] Koné, à Bamako en juillet 2017.


Cet article est publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0). Il peut être republié à condition que l’emplacement original et les auteures soient clairement mentionnés, mais le contenu ne peut pas être modifié.

Une version allemande de cet article est à retrouver sur le site germanophone de l’EJO.

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