Journalisme et activisme en ligne – alliance contre nature ou collaboration utile ?

20 octobre 2023 • À la une, Déontologie et qualité, Formats et pratiques, Innovation et numérique, Médias et politique, Récent • by

Image d’illustration: Freepik

Avec le développement du numérique,  les activités qui y sont liées – telles que l’activisme – sont non seulement devenues familières pour les plateformes de journalisme classique, mais encore plus pour les formats en ligne. Il n’est donc pas surprenant que les conversations sur la manière de séparer le journalisme et l’activisme soient devenues plus fréquentes dans les forums tels que le Global Media Forum de la Deutsche Welle (DW), une entreprise publique allemande.

Dans une interview sur la relation entre le journalisme et l’activisme, le Professeur Christoph Bieber – qui participait au panel du forum de la DW – pose la problématique de la séparation ou non de ces deux concepts. Le directeur du Center for Avanced Internet Studies (CAIS), déclare : « Il me semble que ce sont deux termes ou concepts qui ont convergé ces dernières années dans les conditions de la numérisation et qui pourraient désormais se compléter plus que s’opposer. »

Il estime que l’accent doit être mis sur le traçage de frontières, afin d’éviter que les limites entre le journalisme et le militantisme ne deviennent floues. Anna Biselli, rédactrice en chef du site web sur les droits numériques netzpolitik.org, partage cet avis. Elle estime que, tant dans le journalisme que dans l’activisme, l’attention est attirée sur des sujets et les rapports sont établis sur la base de faits et de recherches. Cependant, dans le journalisme, tous les aspects d’une histoire doivent être explorés et inclus, afin de rester aussi objectif que possible et de préserver la fonction informative des médias.

Pour Christophe Bieber, les points centraux de la distinction entre journalisme et activisme sont les contextes de publication et les acteurs qui sont au premier plan. À titre d’exemple, il met en contraste le scandale du Watergate et WikiLeaks. En raison des différents acteurs, l’affaire du Watergate a été assignée au journalisme, tandis que les révélations de WikiLeaks ont été attribuées à l’activisme.

Cet exemple souligne l’importance de revenir aux définitions de base de ces deux termes. Selon l’American Press Institute, le journalisme « est l’activité de collecte, d’évaluation, de création et de présentation des nouvelles et de l’information. Il est également le produit de ces activités ». La profession est également définie, dans les codes des régulateurs, des médias et des syndicats par exemple, par des valeurs telles que l’objectivité, l’équilibre et l’impartialité. Cependant, les valeurs du journalisme peuvent ne pas être priorisées par les activistes, qui ont pour intention d’obtenir un changement politique ou social spécifique. La question est donc : à quel moment les frontières entre le journalisme et l’activisme deviennent-elles floues ?

« Le journalisme et l’activisme ont déjà une longue histoire “commune” – alors que nous classons systématiquement le scandale du Watergate des années 1970 dans le domaine du journalisme, les différences avec WikiLeaks, quarante ans plus tard, sont-elles vraiment si claires ? », se demande Christophe Bieber. « Dans les deux cas, les lanceurs d’alerte ont mis à disposition des informations controversées et dangereuses, et les journalistes ont pris en charge le “récit” des antécédents et des liens respectifs. »

Selon l’article « Between Transparency, Information Control and Political Campaigning : WikiLeaks and the Role of Leaks Journalism », publié en 2017 par the Federal Agency for Civic Education, les lanceurs d’alerte et les plateformes de fuites sont devenus « un élément central du paysage médiatique ». Les effets de WikiLeaks sont particulièrement visibles dans le secteur des médias, écrit l’auteur Arne Hintz. Cela a notamment entraîné le développement de la plateforme GlobaLeaks – dont le premier prototype date de 2011 – qui collecte et évalue des données et est utilisée par des initiatives de lanceurs d’alerte dans le monde entier.

Toutefois, Arne Hintz se demande si les succès de ces fuites sont considérés comme des scandales ou s’ils sont reconnus comme des sources légitimes et « conduisent à des enquêtes juridiques concrètes et à de nouveaux cadres réglementaires ».

La proximité entre journalisme et militantisme est également perceptible dans le mode de fonctionnement des médias traditionnels, affirme-t-il en soulignant que des médias de premier plan tels que le New York Times, le Guardian et Al-Jazeera proposent des boîtes aux lettres numériques permettant de transmettre des fichiers de manière anonyme aux journalistes.

Tracer la ligne

Lors de la discussion du Global Media Forum, Anna Biselli a souligné que le journalisme et le militantisme ne devraient pas se contredire. Bien au contraire, a-t-elle affirmé. Le respect des principes journalistiques et une prise de position claire peuvent se compléter.

« Nous adhérons aux principes journalistiques, mais avec un point de vue clair », a-t-elle déclaré au panel. Pourtant, elle a également mis en exergue que le contexte joue un rôle clé.

Selon Christophe Bieber, ce type de coopération entre journalistes classiques et activistes numériques deviendra probablement plus fréquent, car il s’agit d’une coopération semblant avoir du sens en termes de répartition des tâches. Le traitement des données numériques, des algorithmes et des plateformes en ligne relève du domaine de l’activisme, tandis que l’assurance de la qualité journalistique, la narration et les formats de dialogue relèvent du domaine du journalisme, explique-t-il.

Une collaboration utile ?

Christophe Bieber se demande si le journalisme a besoin du militantisme : « Le journalisme est certainement possible sans “soutien militant” – pour autant que le financement soit suffisant et que les entreprises de médias disposent d’un personnel suffisamment formé. »

Pourtant, si l’on garde à l’esprit les fortes contraintes financières auxquelles sont confrontées de nombreux médias, la coopération entre le journalisme et l’activisme devient-elle une option nécessaire à envisager ? Pour que le journalisme se sépare de l’activisme et ne dépende que de ses propres recherches, données et informations, il faudra investir financièrement, par exemple dans le développement et la formation du personnel, ce qui peut être un obstacle pour des médias déjà à court de moyens financiers.

Selon Christophe Bieber, l’interaction entre le journalisme classique et l’activisme numérique est en plein essor. Il s’agit d’une interaction entre les données numériques, la recherche d’investigation, les algorithmes, l’assurance de la qualité journalistique, la narration ainsi que les formats de dialogue.


Cet article est une traduction par Laurie Chappatte d’un travail publié en 2022 sur la plateforme EJO allemande.

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