Avec l’arrivée de Dov Alfon qui a succédé à Laurent Joffrin comme rédacteur en chef, on s’attendait à du changement chez Libération : économies, nouvelle organisation, nouvelle stratégie numérique. Parmi les premières mesures, le clap de fin pour le « P’tit Libé », son journal destiné aux 8-13 ans dont la dernière édition a été publiée ce vendredi 23 octobre. Le quotidien a déclaré qu’il souhaitait « concentrer ses efforts sur son offre généraliste » pour les adultes.
La presse jeunesse propose bien des défis à ceux qui s’y lancent. Bilan et retours d’expérience avec Elsa Maudet, journaliste et cofondatrice du P’tit Libé.
Le P’tit Libé, c’était quoi ?
Le P’tit Libé a été lancé en octobre 2015, après les attentats de Charlie Hebdo et en pleine crise des migrants. « L’aventure est partie d’une intuition. Dans ce contexte d’actualité difficile, on souhaitait expliquer l’actualité aux enfants », se souvient Elsa Maudet.
Intuition bien sentie, les premiers dossiers proposés d’abord gratuitement sur le web ont tout de suite bien fonctionné.
Après les attentats de novembre 2015, toute la presse jeunesse a eu un rôle très important à jouer pour trouver les mots que les adultes n’avaient pas toujours pour les enfants.
Pendant 2 ans, le P’tit Libé a été intégré dans les pages de Libération une fois par mois. À partir de 2017, il devient hebdomadaire et sur abonnement. Pendant le confinement, 3 articles par jour étaient publiés, avec des tutos et des idées d’activité.
L’équipe, composée de 2 journalistes, une graphiste et une illustratrice à mi-temps, traitait d’une actualité qui servait de point d’entrée pour parler de sujets souvent plus larges, appuyés de divers éclairages (historiques, scientifiques, sociologiques…).
Une expérience journalistique unique
Pour Elsa Maudet, travailler pour la presse jeunesse est beaucoup plus compliqué que pour la presse adulte. Il a fallu à l’équipe qui n’avait alors aucune expérience dans le domaine une phase d’adaptation pour trouver la bonne formule.
On s’est interdit de regarder d’autres titres jeunesse durant les premiers mois pour ne pas être influencées. On y est allé à l’instinct. Au début, on était très sérieux, mais on a appris à se détendre un peu avec le temps ! Les enfants ont besoin de s’amuser, même lorsque l’on parle d’actu. On a intégré des illustrations pédagogiques et/ou humoristiques, des jeux…
Le P’tit Libé a fait le choix d’une ligne éditoriale monothématique, contrairement à d’autres journaux d’actualité pour enfants qui traitent le plus souvent d’une pluralité de sujets.
C’était une force, car on pouvait aller au fond des choses, mais si les enfants n’étaient pas intéressés par le sujet de la semaine, on les perdait totalement.
Elsa Maudet témoigne que cette expérience dans la presse jeunesse a été très enrichissante et lui a permis de développer des qualités journalistiques qui lui serviront toute sa carrière :
J’ai appris à peser mes mots. Les journalistes ont parfois tendance à écrire sur un sujet en n’en ayant qu’une compréhension globale. On mise sur le fait que les adultes maîtrisent plus ou moins certaines notions et on n’entre pas dans le détail. Avec les enfants, on doit s’interroger sur chaque mot, chaque concept pour le rendre intelligible, ce qui nous amène à être beaucoup plus précis.
L’heure du bilan : 3 leçons à tirer
Si le P’tit Libé a connu un certain succès d’estime, il ne s’est pas traduit dans les chiffres : 1007 abonnés avant l’arrêt de la publication.
Elsa Maudet retient 3 points qui auraient pu conduire à améliorer les résultats.
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Un média 100% numérique.
Pour des enfants de moins de 13 ans, cette proposition était assez risquée, car certains parents préfèrent limiter l’accès aux écrans aux plus jeunes.
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L’offre commerciale peu claire.
À l’heure des offres tout-compris, certains abonnés ne comprenaient pas pourquoi ils avaient accès aux newsletters payantes, mais pas à l’offre jeunesse pour laquelle il devait payer 4,99 euros par mois en plus de leur abonnement à Libération.
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Pas de présence sur les réseaux préférés des pré-ados
Enfin, s’est posée la question de la présence sur les réseaux sociaux préférés des pré-ados : Snapchat, TikTok, Instagram. Par manque de temps, l’équipe s’est concentrée sur sa communication auprès des prescripteurs (parents, enseignants) sur Twitter et Facebook.
Après cinq superbes années, le P’tit Libé publiera son dernier numéro le 23 octobre 😪 Merci à toutes et à tous pour votre soutien et votre confiance.
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— Le P’tit Libé (@LePtitLibe) October 6, 2020
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