Revenir aux fondamentaux du métier pour regagner la confiance du public : la création de l’Agence France Info

20 février 2020 • Déontologie et qualité, Formats et pratiques, Récent • by

 

Seulement la moitié des Français pensent que les choses se sont passées comme la radio les raconte. Source: Pixabay

Comment proposer une information de qualité à l’ère du numérique et de la surinformation ? Comment retrouver la confiance d’un public de moins en moins intéressé par l’actualité ? Comment lutter efficacement contre la désinformation ? Ces questions ont été abordées lors de la 11e édition de l’Atelier radiophonique romand (ARARO), qui s’est tenue le 7 février à Neuchâtel. Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction à France Info, a présenté une possible solution: une agence interne qui centralise et vérifie les informations. EJO a retranscrit son intervention.

Le dernier baromètre de la confiance des Français dans les médias montre que l’intérêt porté à l’actualité est en baisse, tout comme la crédibilité des médias. A titre d’exemple, 50% des interrogés pensent que les choses se sont passées comme la radio les raconte. Par rapport aux autres supports, celle-ci s’en sort bien, mais seulement la moitié des Français nous considèrent comme crédibles. Cela nous interpelle beaucoup.

Comment a-t-on pu en arriver là ? France Info s’est posé la question il y a cinq ans. Tout d’abord, nous avons constaté qu’il y avait des contradictions sur notre antenne, dans le sens où les informations sur notre site internet étaient parfois en contradiction avec celles sur nos réseaux sociaux ou avec ce qui était diffusé à la radio.

La confiance dans les médias.

Parallèlement, deux événements importants sont survenus en France. Tout d’abord, en janvier 2015, les attentats de Charlie Hebdo. Dans la déferlante d’actualité qui a suivi, énormément d’informations contradictoires ont circulé. Peu après cela, en février 2015, l’AFP annonçait, à tort, la mort de Martin Bouygues. Beaucoup de médias ont relayé cette information, y compris France Info.

Centraliser et vérifier l’information

Suite à ces événements, nous nous sommes dits qu’il fallait mettre en place une structure pour centraliser et vérifier les informations qu’on donnait, une agence qui puisse déterminer ce que France Info peut dire sur une information à un moment donné. Surtout parce qu’en tant que chaîne d’info en continu, France Info se basait notamment sur les informations en provenance des agences de presse et d’autres médias. Cette structure a vu le jour en janvier 2016, sous le nom d’Agence France Info.

Tout d’abord, on a écrit une charte régissant notre rapport avec les autres médias. Elle est très stricte : nous ne donnons plus aucune information provenant d’un autre média si la source n’est pas clairement identifiée et pertinente pour le sujet. Quand la source n’apparaît pas, ou quand des formulations telles que « source proche du dossier » sont utilisées, l’information n’est pas donnée, sauf si nous l’avons nous-mêmes vérifiée.

Ces mêmes règles sont appliquées aux agences de presse, même si cela signifie se priver d’une grande partie des informations qui peuvent nous apporter les dépêches.

Il y a une troisième catégorie de médias, les médias de service public du groupe Radio France et de France Télévisions. Nous partons du principe qu’ils partagent nos mêmes principes et règles journalistiques et nous ne revérifions pas leurs informations.

Collaboration avec les médias régionaux

Comment fonctionne cette agence ? Il s’agit d’une structure où arrive toute l’information : cela comprend la réception des informations du terrain, que nos journalistes nous envoient, l’écoute des invités de France Info, et la vérification de l’information. Il y a aussi un gros travail de veille sur les réseaux sociaux.  A partir de ces informations, l’agence écrit des dépêches certifiées sur le style de l’AFP, pour une moyenne de 17’000 dépêches par an.

Quand on repère une info qu’on veut donner, mais que l’on n’a pas, on essaye de la vérifier au sein de France Info ou avec les autres médias de Radio France. Supposons qu’une information mal sourcée sorte dans le Républicain Lorrain : on appelle France Bleu à Metz ou à Nancy pour leur demander de la vérifier.

Les dépêches certifiées de l’agence partent ensuite à destination de toutes les entités de France Info (radio, télé, web) et de tous les médias de Radio France. Ceux-ci alimentent l’agence et collaborent au processus de vérification des infos. En échange, ils récupèrent cette matière.

La fin de la course à l’info

Ce système a une conséquence : vérifier les informations prend du temps. On a donc accepté de ne plus faire la course à l’info. De toute façon, dans ce nouvel écosystème où chaque média fait de l’info en continu sur internet, ce n’est plus la peine d’être le premier à donner une nouvelle, sauf si on a un scoop.

Cela n’a pas été facile, surtout en considérant que France Info est une chaîne d’actu en continu, mais on y est arrivé. Je crois que cette agence est un outil de restauration de la confiance, puisqu’elle permet de réaffirmer les principes et les règles déontologiques de notre métier.

Fact-checking et décryptage

Parallèlement à l’agence, on a mis en place en septembre 2019 une cellule de fact-checking. La confiance dans les médias et la lutte contre les fake news ne sont pas la même chose, mais sont deux éléments d’un même problème.

Sur France Info, on a commencé à faire du fact-checking politique en 2012, à l’occasion des élections présidentielles. A partir de 2014, on a étendu ce service à toutes les rumeurs circulant sur internet. A l’époque, c’était surtout ce qu’on appelle des hoax, pas encore de la manipulation politique. Progressivement, on a vu l’arrivée des fake news.

France Info, média global.

En septembre 2019, on a lancé une cellule qui fait du fact-checking et du décryptage. Pour toucher les publics là où ils se trouvent, cela n’est fait pas seulement sur notre antenne radio, mais aussi sur les réseaux sociaux. On a une chronique tous les matins qui s’appelle « Le vrai du faux ». Ensuite, les journalistes de la cellule peuvent intervenir ponctuellement sur notre antenne. Parallèlement, un journaliste vidéo et un journaliste multimédia mettent en forme une partie de ce décryptage pour les réseaux sociaux.

Donner les clés

L’important, c’est de ne pas accorder une place trop importante aux fake news en tant que telles, mais de se concentrer sur l’explication. C’est le rôle d’un média aujourd’hui. Il ne faut pas non plus mettre en lumière n’importe quelle fausse information, et surtout celles qui ne le méritent pas. On ne doit pas être une caisse de résonance.

De toute manière, il est impossible pour un média de vérifier et expliquer l’intégralité des fausses informations qui sortent, elles sont trop nombreuses. On choisit de traiter des infox qui sont à vocation de société, de débat public. On essaie aussi de donner les clés à nos publics pour qu’ils puissent faire eux-mêmes ce travail de vérification.

A écouter:  la conférence donnée par Estelle Cognacq lors de la 11e édition de l’Atelier radiophonique romand, le 7 février dernier

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1 Responses to Revenir aux fondamentaux du métier pour regagner la confiance du public : la création de l’Agence France Info

  1. […] dernières années, la relation entre les médias et le public s’est dégradée. En effet, une baisse de l’intérêt pour l’actualité et de la crédibilité accordée aux médias est observée dans le dernier baromètre de la confiance des Français dans les […]

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