Comment traiter les violences sexuelles en temps de guerre ?

7 mars 2023 • Déontologie et qualité, Formats et pratiques, Médias et politique, Pédagogie et formation, Récent • by

Plusieurs ressources existent afin de guider les journalistes en terrain de guerre. Photo d’illustration : Pixabay.

Les violences sexuelles en période de conflit sont malheureusement revenues sur le devant de la scène médiatique depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Leurs couvertures posent un certain nombre de questions éthiques telles que leurs traitements ou la protection des sources. Retour sur des ressources existantes pour guider les journalistes. 

L’identification, le traitement éthique, ainsi que la protection des sources restent compliqués en temps de guerre, terrain de multiples violences sexuelles.[1] Pourtant, « puisque la majorité de la population tire ses connaissances sur les agressions sexuelles à partir des médias, la présentation d’une information juste en matière d’agression sexuelle s’avère souhaitable. »[2]

Comprendre les violences sexuelles

Le Global Investigate Journalism Network (GIJN) a récemment mis en place un webinaire sur l’enquête et le reportage en temps de conflits.

Les violences sexuelles y sont définies comme « des actes intentionnels, non consensuels et de nature sexuelle qui se produisent pendant ou en relation avec un conflit, commis par ou contre toute personne, quels que soient son âge, son sexe ou son genre. »[3], par Alix Vuillemin, conseillère principale en matière de plaidoyer au sein de Women’s Initiatives for Gender Justice.

Elle souligne que violence sexuelle n’est pas forcément synonyme de viol et peut se traduire de différentes manières comme les mutilations génitales, l’enregistrement ou le partage de photos intimes ou encore le fait de contraindre un individu à s’habiller d’une manière à laquelle il ne s’identifie pas.[4]

« Là où il y a un conflit, il y aura des violences sexuelles, toujours », affirme Alix Vuillemin. Ces événements ont notamment lieu durant les évacuations, les raids dans les maisons ou encore durant la détention dans des camps et des postes de contrôle.[5]

« Souvent, la violence sexualisée est utilisée comme une arme de guerre car elle vise des communautés entières. Les journalistes doivent se rappeler que dans les cultures fondées sur l’honneur, une femme est la cible des violences sexuelles parce que cela peut avoir des répercussions sur toute sa famille et sa communauté. »[6]

Toujours selon Alix Vuillemin, les Principes de La Haye sur les violences sexuelle offrent une référence permettant de guider les journalistes dans leur interaction avec les victimes.

Se préparer au témoignage

Avant d’aborder le sujet des violences sexuelles, il est nécessaire que les journalistes soient disposés à assurer une couverture précise et perspicace, et ce en évitant de générer des préjudices supplémentaires pour les personnes ayant le courage de témoigner. Ainsi, trois questions fondamentales sont nécessaires avant de se lancer :[7]

  • Suis-je préparé pour cela ? La publication du reportage dans les médias suppose un risque pour la victime.
  • Est-il convenable d’interviewer cet individu, à ce moment, en ce lieu ? Journaliste sur le terrain, rédacteur en chef ou encore collègues suivant le sujet, tous sont concernés par la sécurité de la source.
  • La personne interviewée est-elle consciente de ce dans quoi elle s’engage ? Le consentement se doit d’être pleinement informé.

L’entretien

Trouver des individus à interviewer n’est pas chose aisée puisqu’il s’agit d’être discret lorsque l’on rencontre des victimes de violences sexualisées. Pour ce faire, il est par exemple possible de passer par une ONG ayant l’accord de témoignage d’une victime. Une fois la personne trouvée, celle-ci doit être protégée et non surveillée. S’il y a un risque de surveillance électronique de la part d’un gouvernement ou de la police par exemple, il est nécessaire de ne pas communiquer par téléphone avec la victime afin de ne pas la mettre en danger.[8]

Pourquoi parler d’un traumatisme ? Certaines personnes ne demandent qu’à reprendre le cours de leur vie.[9] De ce fait, lorsqu’un individu accepte de témoigner, il est crucial de « (…) ne pas retraumatiser les victimes en cherchant à confirmer les détails des violences subies »[10]. Afin d’éviter ces erreurs, voici les conseils de Lauren Wolfe, professeure adjointe à New York University et Gavin Rees du Dart Center for Journalism & Trauma :[11]

  • Prendre le temps nécessaire : Le rythme de la conversion est donné par l’individu interrogé et les précipitations sont à éviter.
  • Éviter les « pourquoi ? » : Question souvent posée par la police et les enquêteurs, mais pouvant déstabiliser la victime.
  • Ne pas entrer dans des détails sanglants et macabres : La victime revit son traumatisme à travers ces détails. Ces précisions ne sont généralement pas nécessaires à l’article et relèvent plutôt du sensationnalisme.
  • Expliquer la notion de consentement éclairé : La source doit comprendre quel est le public ayant accès au reportage et si ce dernier sera imprimé ou en ligne, ce qui impact la portée de diffusion.
  • Restituer le contexte : Les violences à caractère sexuel sont une arme de guerre. Ainsi, demander « Que portrait le soldat »[12] ou « Qu’a-t-il dit ? »[13] permet de comprendre si ces actes sont le résultat d’actions individuelles ou s’ils découlent de demandes de la hiérarchie.
  • Discuter avec les soignants : Les conditions d’une attaque, par exemple le lieu, peuvent être donnés par les médecins ou les psychologues de la victime.
  • La règle des trois tiers : L’entretien commence par le moment où la source s’est sentie en sécurité et stable, puis il porte sur la période avant la violence, avant de se terminer par le présent et la manière dont la victime tient le coup. Il est généralement nécessaire de prévoir davantage de temps pour la dernière partie. Appliquer cette règle permet de finir sur une note plus positive.

Le récit

D’après le Dart Center Europe, deux dimensions sont à prendre en compte dans la construction du reportage :[14]

  • La violence sexuelle dans le récit a plusieurs dimensions : La focalisation sur la dureté des événements peut nuire aux sources, appauvrir le reportage, distancer le public et marginaliser la victime.
  • Être conscient que les images sont éternelles : Lorsque les images sont publiées, aucun retour en arrière n’est possible. L’accès illimité à internet peut exposer les individus à un certain nombre de dangers.

Ces pratiques sont davantage détaillées par l’organisme.

Finalement, il est important de prendre conscience que le traumatisme peut avoir des conséquences sur les souvenirs des victimes : ceux-ci peuvent être incomplets ou non linéaires.[15]


Ressources

– DART CENTRE EUROPE. (n.d.). Le travail du journaliste traitant des violences sexuelles commises en période de conflit. Consulté le 14 janvier 2023 sur https://www.coveringcrsv.org/fr/

– INSPQ, Centre d’expertise et de référence en santé publique. (2016). Institut national de santé publique du Québec. Consulté le 13 janvier sur https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/medias/traiter-des-agressions-sexuelles-dans-les-medias

– ROPTIN, J. (2019). Des viols de guerre à la violence sexuelle comme terreur. Mémoires, 75, 5-7. Consulté le 14 janvier sur https://www.cairn.info/revue-memoires-2019-2-page-5.htm

– SABADOS, K. (2022). Vous traitez des violences sexuelles ? Voici ce qu’il faut retenir. IJnet. Consulté le 13 janvier sur https://ijnet.org/fr/story/vous-traitez-des-violences-sexuelles-voici-ce-qu’il-faut-retenir


[1] Sabados, 2022

[2] INSPQ, Centre d’expertise et de référence en santé publique, 2016

[3] Sabados, 2022

[4] Idem

[5] Idem

[6] Idem

[7] Dart Centre Europe, n.d.

[8] Sabados, 2022

[9] Roptin, 2019

[10] Sabados, 2022

[11] Idem

[12] Idem

[13] Idem

[14] Dart Centre Europe, n.d.

[15] Sabados, 2022

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