L’année 2023 n’a pas commencé sous les meilleurs augures en ce qui concerne la protection des journalistes ; le 22 janvier déjà, un informateur a été retrouvé mort au Cameroun, cinq jours après avoir été enlevé. Pourquoi les journalistes continuent-ils d’être pris pour cible ? En 2023, leur protection continuera-t-elle d’être menacée ?
Ancien directeur de la radio privée Amplitude FM, Martinez Zogo a été retrouvé mort le 22 janvier au Cameroun, cinq jours après avoir été enlevé. Le défunt animait une émission très écoutée du pays durant laquelle il dénonçait notamment des conduites illégales quant aux affaires nationales.
Son nom s’ajoute à la liste des journalistes tués dans le monde au cours des dernières années. Entre 2003 et 2022, 1’668 journalistes ont succombé dans l’exercice de leur profession. Avec 58 journalistes décédés en 2022, l’année se démarque comme étant la plus meurtrière depuis 2018.
Afin de comprendre et d’appréhender ce phénomène, Kossi Balao, directeur du Forum Pamela Howard de l’ICJF sur le Reportage des Crises Mondiales, a convié, jeudi 26 janvier 2023, Pauline Adès-Mével, rédactrice en chef et porte-parole de Reporters sans frontières (RSF) – organisation œuvrant pour la défense et la protection des journalistes – à un webinaire sur le sujet.
Comment expliquer ce phénomène ?
Aujourd’hui, le continent africain est au cœur de l’actualité en ce qui concerne la protection de ses journalistes. Le Cameroun voit sa situation se détériorer rapidement ; assassinats et agressions de journalistes portent un coup à la démocratie ainsi qu’à la liberté de la presse dans ce pays.
Mais la situation africaine n’est pas un cas isolé. À l’heure actuelle, le continent américain est considéré comme le plus dangereux dans l’exercice du journalisme.
Partout, les informateurs sont régulièrement pris pour cible lorsqu’ils tentent de mettre en lumière des sujets liés à la corruption. Volonté de faire taire les journalistes ou de se venger sont des raisons causant l’assassinat des journalistes, d’après Pauline Adès-Mével.
Faire payer les criminels
Face aux agressions et meurtres portés à l’encontre des journalistes, RSF veut des réponses. Selon l’organisation, la situation doit évoluer et les crimes être punis. Ainsi, l’enjeu est de mettre la main non seulement sur les exécutants, mais également d’arriver à remonter jusqu’aux commanditaires. Faire cela permet d’éviter la réitération des crimes.
Que doit faire un journaliste qui se sent en danger ?
RSF souligne que la situation varie en fonction du pays dans lequel se trouve le journaliste. Pourtant, quelques conseils peuvent être appliqués indépendamment du lieu :
- Alerter les organisations internationales
- Se protéger autant que possible
- Mesurer le degré de danger, expose-t-on sa vie ? – Seul le journaliste peut décider si l’enquête doit être ou non approfondie. Il s’agit de se munir de son bon sens et de sa qualité de discernement. RSF rappelle tout de même qu’aucune enquête ne mérite d’exposer son intégrité physique.
- Partager l’enquête – Faire cela permet de transmettre un message aux malfrats : rien ne sert de s’en prendre au journaliste initiateur de l’enquête, l’information a d’ores et déjà été dispersée.
- Demander de l’aide à RSF
Les journalistes peuvent bénéficier de l’aide de RSF
Face à une situation qui se perpétue au fil des années, les journalistes doivent avoir conscience qu’ils ne sont pas seuls et que des ressources peuvent être mobilisées afin de les mettre autant que possible en sécurité.
La parole des organisations telles que RSF permet de faire connaître les cas de menaces contre des journalistes. Cela peut notamment se faire auprès de la société civile, afin que cette dernière en comprenne les enjeux et s’en émeuve.
De plus, l’organisation a la possibilité de saisir la justice en portant plainte et peut également demander la protection de l’État pour le journaliste. Pauline Adès-Mével et son équipe luttent ainsi contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes.
RSF s’appuie sur la technique du « miroir » au travers de l’opération #CollateralFreedom afin d’aider les journalistes à garder leur parole. La technique vise à dupliquer les sites visés par la censure et à héberger des copies sur des serveurs internationaux gérés par des géants du web. Dans le cas où le pays a tout de même pour ambition de censurer le site, c’est l’ensemble des sites du pays hébergés par le serveur qui devront être censurés. Faire cela engendre des dommages économiques collatéraux importants pour l’économie nationale. Cette opération n’a pas de coût pour le journaliste.
Dans des affaires de crimes commis contre des journalistes, RSF et deux organisations partenaires de la liberté de la presse ont mis en place le premier « tribunal du peuple » afin de juger les auteurs de ces crimes. Ce tribunal est composé de juristes internationaux.
RSF dispense des formations numériques et enseigne notamment l’utilisation du VPN. Ce dernier sert notamment à fausser la localisation de l’ordinateur – et donc du lieu où le journaliste se trouve.
Finalement, RSF en appelle aux organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU). Depuis 2015, Pauline Adès-Mével et son équipe tentent d’interpeller le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, afin que ce dernier crée un poste de représentant spécial pour la sécurité des journalistes.
Que faut-il attendre de 2023 ?
Sans boule de cristal, difficile de prévoir l’avenir, confie Pauline Adès-Mével. Pourtant, d’après elle, le climat politique actuel ne laisse rien présager de bon ; de nombreux conflits se déroulent aux portes de l’Europe et différents pays initialement considérés comme démocratiques n’ont en réalité de démocratique que leur nom, selon elle. Même si, à première vue, le futur semble plutôt sombre, de bonnes nouvelles arrivent à se frayer un chemin ; après avoir été condamnée pour diffamation, Maria Ressa, journaliste et co-lauréate du prix Nobel de la Paix 2021, a fait appel devant la Cour suprême des Philippines et a gagné dans 4 des 7 affaires initiées par le gouvernement. Faire cela lui a permis d’éviter de purger une peine de prison de 34 ans.
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