«Il était une fois…» la politique?

29 octobre 2017 • Formats et pratiques, Médias et politique • by

La politique peut-elle se raconter à la manière d’un roman ? Indéniablement, elle a quelque chose de romanesque. Les auteurs de fiction l’ont d’ailleurs bien compris, de Balzac à David Fincher, le réalisateur de la série à succès House of Cards. Mais s’ils peuvent, eux, exploiter sans problème le potentiel narratif de la politique pour passionner leur audience, qu’en est-il du journaliste ?

À plus d’un titre, le récit bouscule les codes traditionnels du journalisme politique. Ces transgressions sont souvent perçues comme autant de raisons de bouder le genre, jugé tendancieux, dangereux, voire carrément contraire à l’éthique et à la déontologie journalistique.

À l’inverse, on peut considérer que le récit est nécessaire au renouvellement du journalisme politique et qu’il offre un nouveau regard sur ce monde. Un regard qui, contre toute attente, se révèle souvent plus détaché et indépendant que les formes classiques du journalisme politique.

Quelle place peut donc aujourd’hui occuper le récit dans le journalisme politique ? Et d’abord, pourquoi ce dernier se priverait-il du récit ?

Précurseurs dès le 19e siècle

Sur le principe, rien ne semble s’y opposer. Dans les années 1970, la mouvance du journalisme narratif a en effet ouvert la voie. Oscillant entre journalisme et littérature, ce courant envisage le journaliste comme un écrivain du réel. Il est ainsi autorisé à parler en « je », à user de dialogues, à se mettre en scène, à employer en somme tous les artifices de l’écrivain pour raconter une histoire, qui, elle, est bien réelle. De nombreux journalistes se risquent alors à l’exercice. Ils racontent la guerre, la pauvreté, le monde du travail… Mais rares sont ceux qui parlent de politique.

Pourtant, l’idée de raconter la politique au plus proche du réel ne date pas d’hier. En fait, les premiers à avoir exploité le potentiel narratif de la politique sont les écrivains réalistes-naturalistes du 19e siècle. En se basant sur un vaste travail de documentation, ces écrivains produisent des récits fictifs au plus proche de la réalité. Parmi eux, Émile Zola, mais aussi Honoré de Balzac font la part belle à la politique, Balzac consacrant ainsi plusieurs œuvres de la Comédie humaine à ce qu’il nomme « les scènes de la vie politique ». Leurs écrits ont alors un but : faire comprendre les mœurs politiques de leur époque en les racontant de l’intérieur.

Plus tard, au tournant du 20e siècle, ce sont les romans parlementaires qui prennent le relai en France, mais aussi au Québec. Les auteurs s’attachent alors à raconter la vie politique dans l’arène législative, à l’instar de Maurice Barrès qui publie en 1902 son ouvrage Leurs figures dans lequel il raconte un scandale de corruption qui frappe les députés de l’Assemblée nationale.

Très tôt donc, ces écrivains – parfois aussi des journalistes – démontrent l’intérêt de raconter la politique et peuvent, à ce titre, apparaître comme les précurseurs du journalisme politique narratif contemporain.

Un nouveau genre

Bien que mineur, le genre journalistique du récit politique existe bel et bien. Il émerge dans un premier temps aux États-Unis. Au début des années 1960, Théodore White remporte même le prix Pulitzer dans la catégorie « non-fiction writing » pour son ouvrage Making of President 1960 dans lequel il raconte la campagne électorale de 1960 entre Nixon et Kennedy. Plusieurs générations de journalistes politiques narratifs vont ensuite se succéder, offrant aux lecteurs une nouvelle approche de la politique, et se rapprochant davantage du roman que du compte-rendu de presse.

Pour autant, le récit politique n’est pas seulement une innovation du point de vue de la forme. Il traduit aussi un nouveau rapport du journaliste à la politique. Le récit permet à ce dernier une posture plus impliquée, en introduisant une part de sa subjectivité, mais aussi en donnant à voir la politique de l’intérieur. En fait, c’est comme si le journaliste s’approchait des politiques et les côtoyait sur le long terme pour mieux pouvoir s’en distancer grâce à la narration.

Ce constat vaut également en France où le récit politique fait son apparition dans les années 1980. C’est en effet à cette époque que les premiers récits politiques sont publiés dans les colonnes de Libération puis dans les années 1990 au Monde ou encore au Figaro. On y raconte alors les diners mondains à l’Élysée, les relations de pouvoir, les amitiés et les inimitiés des uns et des autres. En témoignent notamment les récits de Judith Perrignon dans Libération. Sous sa plume, un diner entre Daniel Cohn Bendit et Lionel Jospin prend alors des airs de vaudeville.

Ce nouveau genre, sans provoquer un raz-de-marée dans les rédactions, traduit une posture de défiance, ou à tout le moins de distanciation face au politique. Les jeunes générations de journalistes, notamment les générations dites de « mai 68 », vont en effet développer un nouveau rapport à la politique, moins respectueux des institutions, plus critique. Elles opèrent alors, en quelque sorte, une désacralisation de l’univers politique en s’appuyant sur un mode de restitution nouveau et jugé a priori peu adéquat.

Dans ce contexte, le récit (parfois à la première personne) bouleverse non seulement la posture et la méthodologie de travail du journaliste politique, mais il apparaît aussi comme une nouvelle rhétorique, moins formelle, et plus attractive pour le lecteur. Il se présente presque comme un genre subversif qui ose parler de politique comme l’on parlerait de n’importe quelle autre thématique. Dès lors, la politique ne jouit plus d’un statut particulier.

Exactitude, transparence et authenticité

Pour autant, le récit politique en journalisme soulève nombre de questions éthiques, qui expliquent souvent les réticences des journalistes à se lancer. C’est vrai, comment ne pas être accusé de connivence lorsque l’on passe plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à côtoyer un homme ou une femme politique dont on rapporte ensuite les tribulations « comme si on y était »?

En fait, il faut pour cela dépasser la conception traditionnelle de l’objectivité journalistique. En effet, le récit implique du journaliste, non pas qu’il soit objectif, ni même impartial, mais qu’il soit exact et précis dans sa manière de rapporter les évènements, transparent dans sa démarche et authentique quant à sa posture.

Il s’agit alors de pouvoir prouver ses dires en collectant et archivant des preuves matérielles : procès-verbaux, transcriptions d’entretiens, données statistiques, recherches documentaires, etc. De cette manière, le journaliste politique n’est pas en quête d’objectivité mais bien de vérité. Pour satisfaire cette quête, le lecteur doit savoir, en toute transparence, dans quelles conditions s’est déroulé le reportage. De même, à travers le récit, le journaliste révèle sa subjectivité au lecteur. Certes, il passe du temps avec les politiques, il en apprécie certains et en déteste d’autres, mais tout cela, le lecteur, désormais, le lit, le sait, le voit. Le journaliste apparaît alors comme authentique, un parti pris par ailleurs rare dans le journalisme politique.

Happy End

Le récit peut donc non seulement occuper sa place en journalisme politique, mais il y est historiquement inscrit. Doit-on pour autant tout parier sur le narratif ? Évidemment non. Le récit politique permet certes de comprendre la vie politique, de s’approcher de ses acteurs, de se familiariser avec le système politique, mais il ne fait que parler sur la politique, et non pas de politique.

 

Cet article est publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0). Image de couverture par larsjuh, Flickr (licence CC BY 2.0)

L’équipe fr.ejo.ch remercie les étudiant-es AJM ayant participé à l’enrichissement web de cet article.

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