La confiance dans les médias continue de se dégrader dans le monde

17 juin 2019 • Innovation et numérique, Récent • by

Défiance du public en augmentation, succès limité des modèles payants en ligne, croissance des messageries privées et essor des podcasts, voici en substance ce que révèle le nouveau rapport du Reuters Institute sur la consommation de l’information numérique dans le monde. L’enquête a été réalisée par YouGov auprès de plus de 75 000 consommateurs dans près de 40 pays et s’inscrit dans un contexte d’instabilité politique croissante et de montée du populisme.

La tendance se poursuit et elle est mondiale : le niveau de confiance du public dans les médias en général baisse encore de quelques points cette année. Et un peu moins d’une personne sur deux a confiance dans les médias qu’elle consomme sur internet (49%), note le tout dernier Digital News Report 2019, publié mercredi 12 juin. C’est l’élément saillant de cette nouvelle étude sur la consommation de l’information numérique dans le monde, qui s’est aussi intéressée aux nouveaux modèles d’affaires sur internet et livre une analyse détaillée pour les 38 pays passés au crible, dont la Suisse, la France et la Belgique.

Grandes disparités en Europe

Au niveau mondial, le niveau de confiance s’érode aussi de quelques points lors qu’il s’agit d’évaluer la fiabilité des informations trouvées lors d’une recherche sur internet ou via les réseaux sociaux. Au cas par cas, des différences demeurent notables en fonction des pays.

En Europe, la francophonie n’est pas épargnée par ces tendances. A commencer par la France qui subit de plein fouet l’impact du mouvement des Gilets jaunes – et dans une moindre mesure celui de l’affaire de la Ligue du LOL, notent les auteurs. Sur le terrain, des journalistes ont été violentés et les médias ont subi la plus grande perte de crédibilité de ces dernière années, accusés de connivence avec les élites au pouvoir. Le pays dégringole en avant-dernière place, juste avant la Corée du Sud.

Moins d’un Français sur quatre fait confiance aux médias (24%), contre un peu plus d’un sur trois il y a encore un an (35%). Fait paradoxal, BFM TV est la chaîne la plus critiquée dans ce contexte, mais reste néanmoins dans les plus populaires, juste après TF1.

A titre de comparaison, on peut lire que les élections houleuses ont eu un fort impact au Brésil (-11 points), mais sans commune mesure avec la France puisque le pays demeure dans la moyenne mondiale avec 48% de personnes qui disent avoir encore confiance dans les médias.

Qualité des médias

Si la Finlande, le Portugal et le Danemark s’en sortent bien, la Suisse (46%) et la Belgique (49%) ne font pas exception et perdent respectivement 6 et 4 points par rapport au dernier recensement. Le sentiment de défiance pourrait toutefois avantager les médias établis, selon l’étude. Un quart des personnes interrogées confient se tourner davantage vers des sources d’information réputées.

De manière générale, les médias sont mieux reconnus pour leur transmission de l’actu que pour leur rôle d’explication. Moins de la moitié des personnes interrogées (42%) pensent que les médias remplissent leur rôle de quatrième pouvoir en mettant les élites face à leurs responsabilités.

Fin de la gratuité : beaucoup d’efforts, peu de résultats

Pour son édition 2019, le Digital News Report s’est aussi penché sur le tournant opéré par les éditeurs du monde entier vers des modèles numériques payants. Malgré les efforts de l’industrie journalistique, la fin de la gratuité n’est pas encore synonyme de victoire. La progression des personnes qui payent pour consommer de l’information sur internet est très faible, que ce soit via les abonnements, adhésions ou dons.

Une légère croissance se constate tout de même du côté scandinave (avec 34% de personnes qui paient en Norvège par exemple), alors que les chiffres restent stables aux Etats-Unis (16%) après le boom de 2017, explique le rapport. En Suisse, par exemple, ce taux se situe à 11% (15% pour les Romands, 9% pour les alémaniques).

C’est encourageant sans l’être puisqu’en y regardant de plus près, les auteurs de l’étude montrent que même en cas de progression, la grande majorité des personnes qui payent pour de l’information sur internet n’ont qu’un seul abonnement. Cela suppose que la dynamique du winner takes it all (« le gagnant rafle toute la mise ») continue de dominer et rend difficile l’arrivée de nouveaux entrants.

La limite des paywalls

La question des paywalls inquiète les auteurs du rapport ; alors que plus d’une personne sur deux se heurte à un obstacle de paiement au moins une fois par semaine dans le monde, la crainte est de voir les tensions s’accentuer autour de l’accès aux news jusqu’à ce qu’elles détournent complètement les gens de l’information. D’un autre côté, « ce [risque] fait partie de la transition qui verra davantage de personnes accepter que la qualité des nouvelles a un coût ».

La montée de Netflix et Spotify accompagnent cette « fatigue de l’abonnement » (subscription fatigue). « Les gens préfèrent dépenser leur budget limité pour du divertissement plutôt que de l’information, vue comme une corvée », indique encore les auteurs du rapport.

Populisme et instabilité politique

« Le rapport de cette année s’inscrit dans un contexte de populisme croissant et d’instabilité politique et économique, ainsi que de vraies inquiétudes au sujet des grandes entreprises technologiques et de leur impact sur la société », analysent les chercheurs. Ils rappellent que la puissance des plateformes et de leurs opérations publicitaires a miné les modèles d’affaires de l’information, contribuant à une série de licenciements très médiatisés dans les médias traditionnels (Gannett) et numériques (Mic, BuzzFeed).

Le rapport relève encore « la polarisation politique » qui a encouragé « le développement d’agendas partisans en ligne, qui, avec l’appât du gain et diverses formes de désinformation, contribuent à miner davantage la confiance dans les médias ». Au cœur de ces constats, une question : comment produire un journalisme équilibré et équitable à l’ère numérique ? Les éditeurs et les médias travaillent d’arrache-pied pour que la distinction soit faite entre un journalisme de qualité et la masse d’informations que véhicule internet, constatent-ils encore.

« Malgré l’augmentation des possibilités de contenu payant, il est probable que la plupart des services d’information commerciale restent gratuits, dépendants d’une publicité aux marges faibles, un marché où les grandes plateformes technologiques ont les cartes en main, poursuivent les chercheurs. C’est là que la concurrence pour attirer l’attention sera la plus vive, que la réputation des journalistes sera la plus menacée et qu’il faudra se démener pour trouver des sources de revenus diversifiées et des stratégies intelligentes pour survivre. Un certain nombre de médias ne pourront probablement pas mener cette transition. »

Voir le résumé du rapport en vidéo

 

Cet article est publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0). Il peut être republié à condition que l’emplacement original (fr.ejo.ch) et l’auteure soient clairement mentionnés, mais le contenu ne peut pas être modifié.

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