Les risques du journalisme d’enquête

8 mars 2022 • Déontologie et qualité, Formats et pratiques • by

Dustin Hoffman dans le rôle de Carl Bernstein et Robert Redford dans le rôle de Bob Woodward dans le film « All the President’s Men » (1976), relatant le mythe du Watergate. Image originale: Warner Brothers/Photofest

 

« Tout le monde est à peu près d’accord : l’investigation, c’est bien, c’est noble, c’est nécessaire, c’est l’honneur du journalisme… », relevait Annik Dubied dans une précédente publication EJO, soulignant ensuite que cette représentation pouvait nuire à la profession. Le présent article revient sur cette image mythifiée du journalisme d’enquête, avant de montrer qu’elle comporte des risques non seulement pour la profession, mais aussi pour la démocratie.

 

« Je m’inquiète quand je vois que des gens font référence à mon travail pour prouver que la démocratie est une imposture : ‘Regardez comment nos dirigeants sont de mèche avec les banques ! Nous avons besoin d’un leader fort à la place, quelqu’un comme Poutine !’. Je m’inquiète encore plus lorsque je trouve mes conférences révélant le danger de la finance et ses liens avec les principaux partis politiques présentées sur des sites web, à côté de théories conspirationnistes farfelues »[1]
Joris Luyendjik, Keynote speaker, Dataharvest Conference, Mechelen, 2018.

 

A priori, comme dans le cochon, « tout est bon » dans le journalisme d’investigation. De manière générale, il est perçu comme ce que le journalisme fait de mieux, là où il va le plus loin, contre vents et marées, « au-delà des allégations et des démentis » [2] (Cordell, 2009, p.123). Dans les discours des professionnels comme du grand public, il remplit mieux que n’importe quel autre genre la fonction de quatrième pouvoir du journalisme, totalement noble et désintéressé : les journalistes d’enquête œuvrent au nom de l’intérêt public, dévoilent des vérités cachées, mettent au jour des secrets que d’autres voudraient dissimuler, monitorent l’activité des puissants (De Burgh 2008 ; Hunter 2011 ; Stetka et Ornebring 2013 ; Cancela & al. 2021).

Un idéal professionnel

Du point de vue des discours professionnels, le journalisme d’enquête constitue un idéal, la forme la plus aboutie de leur métier (Olsen, 2018, p.49 ; Descamps, 2019, p.259-260 ; Cancela & al. 2021, p.7). Par opposition à un journalisme conventionnel, parfois targué de journalisme ‘communication’ (Ingmar, 2006), qui couvre les conférences de presse et accepte comme vraies les déclarations de sources dites « autorisées », les journalistes d’enquête cumulent les éléments de preuves, les confrontent, les pèsent, les évaluent et, sur la base de leurs découvertes et de leur analyse, peuvent prétendre s’approcher de la vérité (Ettema et Glasser, 2006). Ces professionnels doutent en permanence, remettent en question les déclarations, font preuve d’un esprit critique constamment en éveil (Preston, 1999, p.5. Quoted in De Burgh, 2008, p.18 ; Forbes & al., 2005, p.9 ; Cancela & al. 2021, p.9).

Bien sûr, la pratique du journalisme d’enquête demande du temps, une ressource dont manquent cruellement de nombreux professionnels de l’information. Les contraintes organisationnelles de l’institution médiatique qui les emploie, les pertes de revenus des médias et les licenciements subséquents poussent la plupart des journalistes à devoir courir après le temps (Neveu, 2013). Dans le même temps, l’enquête continue d’occuper une position ambigüe dans l’organisation traditionnelle du travail journalistique. Ce n’est pas sans lien avec le débat de longue date sur sa définition, entre l’idée (largement partagée par les professionnels) que l’enquête, au moins dans sa version minimale, est au cœur de tout reportage d’actualité (Bastié & al., 2014), et la réalité pratique selon laquelle le journalisme d’investigation est une forme spécialisée de journalisme qui exige beaucoup plus de temps, de ressources et de compétences (Carson 2020 ; Cancela 2021, en cours). Or les spécialisations sont devenues un luxe que peu de médias/journalistes peuvent encore se permettre aujourd’hui (Hollifield 2011).

Il en découle que les journalistes spécialisés exclusivement dans l’enquête sont rares (Conan 2004, p.34 ; Chalaby 2004, p.1201 ; Marchetti, 2000, p.30). Parce qu’ils bénéficient de conditions de travail avantageuses, leur position apparaît comme privilégiée (Chalaby 2004, p. 1201). Mais il s’agit aussi d’une position non seulement ardue à obtenir — il faut faire ses preuves — mais aussi à conserver — il faut obtenir des résultats (Cancela 2021, en cours).

L’investigation implique également d’assumer une posture délicate : en dénonçant des transgressions ou des dysfonctionnements, le/la journaliste d’enquête prend et accepte le risque d’être critiqué, attaqué, voire condamné à son tour (Grevisse 2008, p.114-115 ; Wuergler 2021). Du coup, le journaliste d’enquête est perçu comme courageux et ce courage est d’autant plus valorisé qu’il sert à défendre l’intérêt commun et non ses intérêts propres (Matheson 2009, p.84-85). Certains journalistes ont même payé de leur vie leur obstination et leur persévérance à vouloir dénoncer les pratiques immorales et souvent illégales d’individus ou d’institutions au pouvoir, parfois en Europe, mais souvent au-delà du monde occidental [3]. Nombreux sont ceux, aussi, qui ont lutté juridiquement au nom de la transparence ou de la liberté d’expression.

« Le risque consiste toutefois à attendre que toute enquête soit un nouveau Watergate tel que représenté par Sydney Pollack au cinéma et, donc, de passer de déception en déception »

Aujourd’hui [4], le rôle de quatrième pouvoir du journalisme d’enquête est donc celui qui est considéré comme le plus essentiel à la démocratie (Waisbord 2001). « Un thème récurrent dans les travaux universitaires sur le journalisme d’investigation est celui de la promotion d’une « société ouverte », opérée en exposant les dysfonctionnements et en instruisant le public par la presse ou la radiotélévision, avec pour objectif de favoriser une évolution rectificative et progressiste » [5] (Bromley 2008, p.179). Toutefois, cette représentation largement acceptée souffre de quelques contre-arguments.

Une conception mythique

D’abord, il est reconnu qu’entre les « mythes » du journaliste d’enquête et la réalité, il y a un fossé que les récits « mythographiques » successifs ont contribué à creuser (Zelizer 1993, 227-230 ; Schudson 1995, p.142-149). L’idéal théorique défendu dans les discours professionnels et dans les productions cinématographiques (Matheson 2009) ne se concrétise que de manière imparfaite dans la pratique (Mellado & al., 2020 ; Cancela & al., 2021). Même les plus grandes enquêtes voient leur mythe légèrement égratigné par une inspection plus détaillée de leur réalisation. Le Watergate n’aurait pas existé sans la contribution d’une source anonyme haut placée (deepthroat), mais aussi de nombreux témoignages et une prise de risque rédactionnelle(Dubied 2018). L’enquête de Anne-Marie Casteret sur l’affaire du sang contaminé est pour sa part fondée au départ sur les indications données par un hémophile (Hunter, 2011, p. 19). Idéalisés par les professionnels, ces mythes officient comme base d’évaluation de leur propre pratique (Zelizer 1993). Le risque consiste toutefois à attendre que toute enquête soit un nouveau Watergate tel que représenté par Sydney Pollack au cinéma et, donc, de passer de déception en déception. Le journalisme d’enquête se trouve ainsi « surinvesti d’espoirs et d’attentes dans l’espace public comme par la profession elle-même », résume Dubied (2018).

« Or, la réalité démontre que les journalistes d’enquête n’ont souvent simplement pas les moyens de tout voir et de tout couvrir. Au contraire, ils se focalisent souvent sur les mêmes thèmes et les mêmes individus — les plus haut placés —, laissant de côté d’importantes questions et institutions »

Toutefois, le journalisme d’enquête soulève également des enjeux politiques et sociétaux dépassant largement la seule image de la profession. Certains analystes défendent en effet une position peu orthodoxe, selon laquelle le journalisme d’enquête, même dans une illusoire version idéale, comporte également des risques pour la démocratie. Bien que minoritaire, cette position mérite d’être présentée pour alimenter la réflexion sur le rôle du journalisme dans la société contemporaine.

Un risque pour la démocratie

Le premier risque consiste à penser que l’existence même du journalisme d’enquête constitue la garantie d’une surveillance efficace et suffisante des institutions démocratiques. « Cela favorise dans le public une impression fausse et complaisante que si des fonctionnaires ou des entreprises commettent des actes répréhensibles, des journalistes héroïques vont tout faire pour les découvrir et les signaler » [6] (Graves 2008, p.32). Or, la réalité démontre que les journalistes d’enquête n’ont souvent simplement pas les moyens de tout voir et de tout couvrir. Au contraire, ils se focalisent souvent sur les mêmes thèmes et les mêmes individus — les plus haut placés —, laissant de côté d’importantes questions et institutions.

« Il est extrêmement difficile, voire impossible, pour ces journalistes (…) de couvrir les informations quotidiennes ‘officielles’ et les manœuvres en coulisses concernant ces décisions, tout en suivant également l’influence de centaines de lobbyistes généreusement payés et de cabinets de relations publiques bien dotés en personnel, qui se consacrent à la protection des intérêts des grandes entreprises et ont un accès étendu aux décideurs politiques. » [7] (Graves 2008, p.32-33).

Beaucoup d’enquêteurs doivent jongler entre des recherches approfondies et la couverture de l’actualité quotidienne, rendant très ardue la surveillance assidue de toutes les institutions puissantes.

Un écueil potentiel serait donc de penser que tous les abus, dysfonctionnements, failles, actes immoraux ou illégaux — en somme que toutes les transgressions — seront mis à jour par les journalistes d’enquête. Le public risquerait alors de penser qu’il peut leur déléguer entièrement le contrôle du bon fonctionnement de notre société, tout en se désengageant lui-même de la vie publique. D’où cette distinction faite par Fee (2005, p.92-93) entre les ‘muckrakers’ et les ‘public journalists’ : si les premiers cherchent avant tout à « révéler la corruption et les irrégularités de la vie publique, afin de permettre à des individus compétents et non corrompus de devenir les leaders du gouvernement » [8], les seconds veulent contribuer à « une reconnexion participative, dans laquelle les citoyens sont restimulés et réengagés dans le gouvernement et la vie civique, guidés et responsabilisés par les journalistes » [9]. En résumé, alors que le public journalism contribue à une remobilisation du public, le journalisme d’enquête pourrait, lui, favoriser son désengagement.

C’est un risque que Joris Luyendjik a également relevé, en ouverture de la conférence Dataharvest[10] 2018 à Mechelen en Belgique. Pour ce journaliste d’enquête danois, plutôt que de renforcer la démocratie, le journalisme d’enquête pourrait bien l’affaiblir. En dénonçant régulièrement les failles et dysfonctionnements de ce système, il le décrédibiliserait et, par-là, le fragiliserait (Luyendjik 2018, 2019).

Une humeur ‘anti-institutionnelle’

Ce risque est entretenu par plusieurs facteurs. Le premier concerne les cibles privilégiées du journalisme d’enquête, les institutions publiques, au détriment des entreprises ou organisations privées (Kaplan 2008, p.129-130). Par exemple, une recherche a démontré que, sur 25 enquêtes primées par le prix Pulitzer, seulement deux concernaient des entreprises privées (Graves 2008, p.34). Carson (2014, p.740-741), quant à elle, a montré que seule une maigre proportion du journalisme d’enquête australien porte sur les entreprises du pays. D’autres études soulignent que le journalisme de données — souvent rattaché au journalisme d’enquête — se fonde essentiellement sur des bases de données publiques (Knight 2015, p.69 ;  Stalph 2018, p.1343).

Cet intérêt prépondérant pour tout ce qui touche l’État a plusieurs causes. La première est pratique : en raison d’obligations croissantes à plus de transparence, les sources officielles exploitables par les journalistes sont simplement de plus en plus nombreuses, alors que les données privées restent protégées par le secret des affaires. Comme le souligne van Eijk (2005, p. 235), « Il est tellement plus facile d’obtenir des documents sur le gouvernement que sur les entreprises (…). C’est la voie de la moindre résistance ». Ainsi, la transparence croissante des données étatiques a conduit à l’émergence d’un « journalisme d’enquête d’humeur essentiellement ‘anti-institutionnelle’ [qui] s’appuie, pour critiquer des structures publiques et leurs tutelles politiques, sur des enquêtes de l’État » (Marchetti 2002, p.173). En simplifiant outrageusement, on pourrait ainsi déclarer que la « gentillesse » de l’État a été récompensée par une critique plus forte et plus régulière à son encontre.

«  Ainsi, l’État et les institutions publiques en général font l’objet d’une surveillance accrue de la part des journalistes d’enquête, alors que tout un pan pourtant extrêmement puissant de la société reste pratiquement insondé »

A l’opposé, de nombreuses données concernant les milieux économiques restent inaccessibles. « (…) les entreprises sont des cibles difficiles à couvrir pour les journalistes, car la pression exercée sur elles pour livrer des informations est plus faible. Alors qu’un journaliste peut faire une demande FOIA [11] auprès du gouvernement fédéral (…) il n’existe pas d’outil similaire permettant aux journalistes de soutirer des informations à une entreprise » [12] (Hamilton, 2016, p.151). Dans un entretien de recherche, un journaliste suisse a souligné qu’il lui a été impossible d’obtenir des informations a priori non polémiques sur les entreprises de sa région

« Obtenir le nombre d’entreprises par nombre de salariés dans le canton, ce n’est pas possible. Cela n’existe pas publiquement. (…) Il y a bien un registre des entreprises existantes, mais pas de registre par taille d’entreprises. Ça reste confidentiel, en fait, très étrangement. C’est du déclaratif des entreprises, mais il n’y a pas un registre public où on peut voir que telle entreprise, c’est 532 employés » [13].

Quand la cellule-enquête de Tamedia a cherché à savoir quelles étaient les entreprises du pays qui recevaient les plus grands contrats de la Confédération, elle a dû lutter trois ans et porter l’affaire jusqu’au Tribunal fédéral pour obtenir une partie de ces informations (Plattner & al. 2016a et 2016b). Quand une journaliste cherche à connaître les salaires des médecins privés, elle ne peut parvenir qu’au seul constat qu’ils représentent « le secret le mieux caché du système de santé » (Logean 2018). Les pratiques illégales de certains avocats suisses dans les paradis fiscaux n’ont pu être révélées qu’après une fuite massive de données opérées par un lanceur d’alerte (Haederli & al. 2018). Dénoncer les pratiques du secteur privé s’avère donc largement plus ardu que de s’attaquer aux failles du secteur public.

Une seconde cause tient aux risques juridiques encourus par les journalistes. Van Eijk (2005, p. 236) souligne qu’en Europe, les institutions publiques portent rarement plainte contre les médias, alors que les entreprises privées — notamment les plus puissantes — craignent moins d’engager une batterie d’avocats pour obtenir des mesures superprovisionnelles [14] (i.e. faire retirer ou suspendre la publication) ou pour porter l’affaire devant un tribunal et exiger des dommages et intérêts. Ces risques juridiques représentent une épée de Damoclès au-dessus de la tête des enquêteurs qui rechignent dès lors parfois à rendre publiques certaines informations (Kaplan, 2008, p.132). Les poursuites judiciaires sont d’ailleurs les principaux risques encourus par les journalistes occidentaux, bien plus régulières que les menaces ou les actes de violence [15] (Harcup 2015, p.98).

Dans une étude américaine (Kaplan 2008), les journalistes d’investigation interrogés confirment cibler effectivement plus souvent le gouvernement que les entreprises. Ils soulignent les mêmes raisons tactiques (obtention de documents plus difficile, risques juridiques et financiers), mais relèvent également une cause idéologique, selon laquelle mener des enquêtes sur le gouvernement serait « plus utile pour les citoyens, car le gouvernement — qu’il soit fédéral, étatique ou local — aura généralement beaucoup plus d’impact sur la vie d’une personne que ne l’aura une entreprise » [16] (p.132).

Ainsi, l’État et les institutions publiques en général font l’objet d’une surveillance accrue de la part des journalistes d’enquête, alors que tout un pan pourtant extrêmement puissant de la société reste pratiquement insondé. Et ce malgré le fait que ce sont aujourd’hui les grandes entreprises qui « dirigent les pays » et qu’elles sont actuellement en « meilleure position pour abuser de la confiance du public que ne le sont de nombreuses institutions étatiques »[17] (Graves 2008, p.34).

D’ailleurs, les journalistes eux-mêmes s’inquiètent de cette absence de contrôle du secteur privé et considèrent que cela peut « nuire à la société »[18] (Kaplan 2008, p.129-130). Pour certains d’entre eux, cela tient notamment au fait que les médias sont eux-mêmes de grandes entreprises régies par les mêmes lois du marché que toutes les autres.

« Si une entreprise commence à licencier des gens à tour de bras, ce n’est pas différent de ce que font les entreprises médiatiques de nos jours ; au lieu de vraiment s’interroger sur l’impact que cela peut avoir sur la vie des gens et sur la justification réelle de cette décision, nous ne nous en préoccupons pas autant que nous le ferions parfois avec le gouvernement » [19], regrette l’un d’entre eux (Kaplan 2008, p.130-131).

Des ‘idiots utiles’ ?

Il en résulte qu’en concentrant leur attention sur les failles, dysfonctionnements et potentiels abus des autorités et institutions publiques, les journalistes d’enquête focalisent l’attention du public sur les défaillances de la démocratie. Le risque est donc d’alimenter continuellement une vision d’un système politique forcément déficient, voire perverti et gangrené, et de nourrir ainsi les discours populistes d’arguments précuits contre l’État en place. « Je m’inquiète quand je vois que des gens font référence à mon travail pour prouver que la démocratie est une imposture », s’alarme le journaliste Joris Luyendijk (2018).

Dans une interview menée pour un travail de Master [20] (Miura 2020, p.17), l’historienne Marie Peltier défend justement l’idée qu’en révélant presque exclusivement de grands scandales, le journalisme d’investigation a véhiculé l’idée que la vérité est toujours cachée. « Je trouve que ce journalisme-là a pris beaucoup de place ces dernières années, les gens en sont friands évidemment, mais c’est un journalisme qui paradoxalement ne crée pas du tout de la confiance et nourrit beaucoup de défiance ». De Burgh (2008, p.12) fait également référence à cette « maladie » du journalisme d’investigation que serait « la conviction que le gouvernement est inévitablement, irrévocablement, chroniquement mauvais, qu’il ne faut pas lui faire confiance et qu’il est conspirateur » [21].

D’où cette question posée par Luyendjik : « Les journalistes d’investigation risquent-ils de devenir les idiots utiles [22] des démagogues et des partis contestataires du monde occidental, alors que ceux-ci se lancent dans une attaque en règle contre la démocratie représentative ? (…) Sommes-nous en train de fournir les munitions pour leur assaut ? » [23].

Pour lui, la réponse dépend des contextes. Jusque dans les années 90, les enquêtes alimentaient avant tout les partis d’opposition. Une opposition « sérieuse », « cohérente », de « bonne foi » et, donc, « constructive ». Elle défendait un programme politique propre et pouvait utiliser les enquêtes journalistiques pour « faire pression » sur le gouvernement. D’une certaine manière, le système en sortait renforcé. Le journalisme d’enquête entretenait la capacité d’« autocorrection » ou d’« auto-nettoyage » du système démocratique.

«  Pour les journalistes d’enquête, une solution pourrait donc être de prendre conscience — et peut-être de revoir — les postulats fondamentaux sur lesquels repose leur conception de la société actuelle, de repenser son fonctionnement et de réfléchir aux défaillances non pas individuelles, mais systémiques d’une société fondamentalement capitaliste, inégalitaire et expansionniste, afin de contribuer à la repenser »

Mais aujourd’hui, les conditions ont changé. Pour Luyendjik (2018), « plutôt que de proposer une alternative réalisable, fondée sur des faits et bien argumentée [les partis d’opposition actuels] se contentent d’offrir une plate-forme pour tous types de frustrations légitimes et illégitimes, se définissant essentiellement selon contre qui et quoi elles s’opposent »[24]. Dans plusieurs pays occidentaux, les scandales révélés par les journalistes d’enquête pourraient selon lui affaiblir les partis traditionnels au profit des partis d’extrême droite, qui montent en puissance partout en Europe. Le principal problème est que les révélations sur les « défaillances » du système ne sont souvent pas suivies de conséquences. Le public prend connaissance d’un grave problème, mais constate que, souvent, aucune suite officielle ne lui est apportée. La crise économique de 2008 en est l’exemple le plus parlant. Les abus de la place financière ont été dénoncés, mais rien n’a fondamentalement changé pour ses responsables.

Pas de solution, mais un questionnement

« Étant donné que nos démocraties ont radicalement changé, pouvons-nous encore nous contenter de dénoncer ce qui ne va pas ? », s’interroge donc Joris Luyendjik (2018), qui propose quelques pistes : creuser un peu plus le milieu économique ; mener des enquêtes au sujet de « ce qui va exceptionnellement bien » ; fonder des médias « supranationaux » à l’échelle de l’Union européenne. Il faudrait aussi que les journalistes d’enquête ne se contentent pas de dénoncer, mais s’assurent également que leurs dénonciations soient suivies de conséquences, qu’ils informent la population sur les mesures prises (ou non) pour régler le problème dénoncé.

Dans un contexte général de « crise de confiance dans les paroles d’autorité et dans les institutions démocratiques », l’historienne Marie Peltier considère que les journalistes d’investigation devraient réorienter leur attention sur « la réalité du quotidien des gens, notamment sur les questions sociales, ou sur la question du racisme (…). Ça, je pense que c’est important. Il faut remettre du récit sur les détresses du quotidien et pas seulement sur les grands scandales cachés » (Miura 2020, p.17). Une autre piste pourrait être de revenir à une conception antérieure du journalisme d’enquête, telle qu’elle prévalait en France avant les années 1980, soit avant l’explosion du genre des « affaires » et des « scandales » (Marchetti 2000, p. 30). Or, Chalaby (2004 p.1205) rappelle que le journalisme d’investigation actuel, inspiré par le modèle anglo-saxon, repose sur un postulat et une croyance.

Le postulat est que le système politique et économique est essentiellement bon, mais qu’il est perverti par des pratiques corrompues. La croyance est que si ces pratiques sont révélées, le système s’en trouvera amélioré. Ces idées reposent sur une philosophie libertarienne. Les êtres humains seraient des agents libres qui choisissent leurs propres valeurs et déterminent en grande partie leur destin. Ils sont responsables de leurs actes, et lorsqu’ils s’écartent de la norme, ils doivent être dénoncés et, si nécessaire, livrés à la vindicte publique. Jusqu’à récemment, la France était étrangère à ces idées. Pendant longtemps, les théories sociales dominantes se sont concentrées sur le système lui-même plutôt que sur l’individu[25] (Chalaby 2004, p.1205).

Joris Luyendijk durant le Freelancers Festival de 2018. Photo: Sebastiaan ter Burg

Pour les journalistes d’enquête, une solution pourrait donc être de prendre conscience — et peut-être de revoir — les postulats fondamentaux sur lesquels repose leur conception de la société actuelle, de repenser son fonctionnement et de réfléchir aux défaillances non pas individuelles, mais systémiques d’une société fondamentalement capitaliste, inégalitaire et expansionniste, afin de contribuer à la repenser. Dans un contexte de défiance issue non seulement de mouvements populistes et complotistes, mais aussi anti-capitalistes, féministes, antiracistes, écologistes, etc., les journalistes d’enquête pourraient profiter de l’occasion pour accompagner cette remise en question générale et contribuer, eux aussi, à concevoir une forme nouvelle de démocratie.

«  Actuellement, les journalistes affichent une volonté de traiter de problématiques sociales, liées par exemple à la santé ou à l’environnement. De nouveaux formats de slow journalism offrent l’opportunité d’aborder des réalités plus complexes, allant du burn-out au travail aux déserts médicaux, en passant par les violences policières ou la prescription de ritaline aux enfants »

Car il n’est plus possible selon Luyendjik (2018) de nier que, « dans la configuration politique actuelle de l’Europe, notre travail hypercritique peut miner ce qui reste de la confiance des électeurs ordinaires dans la démocratie ». Au minimum, ce constat mérite de se faire une place dans les esprits des journalistes d’enquête. Pour qu’ils puissent éviter de devenir les idiots utiles involontaires d’idéologies contre-productives. Vaut-il la peine de dénoncer un gouvernement, si cela conduit le public à lui préférer un état autoritaire ? La question est légitime et l’histoire récente montre que le populisme trouve effectivement son chemin dans de nombreux états, partout sur la planète. Les journalistes d’enquête n’en sont pas les seuls responsables, loin de là. Mais s’ils ne lui ont pas procuré directement les armes, ils lui ont, peut-être, fourni certaines munitions.

Vers un renouveau de l’enquête

Bien sûr, ces dernières années, le journalisme d’enquête a évolué, s’est renouvelé : des ONG spécialisées sont apparues (Lewis 2007 ; Baggi 2011), des collaborations internationales ont démarré (Houston 2011, p.48), des associations ou des consortiums de journalistes d’enquête ont été créés (Carson & Farhall 2014), de nouveaux médias spécialisés sont nés[26], de nouveaux formats ont été explorés (Gorius 2014), de nouvelles méthodes appliquées, notamment avec l’émergence du datajournalism (Hahn & Stalph 2018). D’autres formes d’enquête, sur d’autres thèmes, sont alors apparues. Les fuites massives de données ont permis aux consortiums internationaux de mettre à jour les pratiques fiscales offshore de nombreuses personnalités publiques, tant dans le milieu des affaires que dans le monde politique [27], dans la lignée des scandales financiers du 21e siècle (De Blic, 2007). Mais là aussi, le vent tourne. Dans des entretiens de recherche, les journalistes d’enquête prennent conscience que ces affaires restent déconnectées du quotidien des citoyens [28] :

« (…) à l’époque, beaucoup de journalistes d’investigation suisses investiguaient sur ces affaires financières, ces sombres affaires. Et aujourd’hui, je pense qu’on est en train de passer à autre chose (…), comme l’école, comme les pesticides… Des sujets qui nous, nous intéressent aujourd’hui. J’ai l’impression qu’on irait plus vers des sujets qui concernent un peu plus la société, au-delà de concerner une micro-élite qui touche à ces affaires financières complexes ». [29]

Actuellement, les journalistes affichent une volonté de traiter de problématiques sociales, liées par exemple à la santé ou à l’environnement. De nouveaux formats de slow journalism offrent l’opportunité d’aborder des réalités plus complexes, allant du burn-out au travail aux déserts médicaux, en passant par les violences policières ou la prescription de ritaline aux enfants [30]. Le journalisme d’enquête au niveau local s’est aussi développé avec des institutions comme le Bureau local ou Correctiv !, concentrant l’attention du public sur le monde qui les entoure directement. Si ces approches restent encore minoritaires, elles sont symptomatiques d’un renouvellement de l’enquête vers d’autres formes que celles du scandale ou de l’affaire d’État.

Concevoir le journalisme d’enquête comme un simple risque pour la démocratie serait évidemment réducteur. Des études montrent que le journalisme de qualité — auquel est apparenté le journalisme d’enquête — favorise la participation démocratique (Kübler et Goodman 2016, p.16-17). La question n’est donc pas de savoir s’il faut pratiquer de l’enquête ou non. Il le faut. La question est d’avoir conscience que le travail journalistique peut être récupéré par des forces de tous bords, dont celles qui proposent comme seule solution de renverser le système politique en place. Ce risque mérite d’être intégré à la réflexion de tout journaliste et de toute rédaction dans leurs choix de sujets et/ou d’angles. Pour que les enquêtes ne deviennent pas des munitions contre la démocratie, mais de véritables outils de participation et d’engagement démocratique pour les citoyens.


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Références

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[1] « I worry when I see people point to my work to prove that democracy is a sham: look at how our leaders are in bed with the banks! We need a strong leader instead, someone like Putin! I worry even more when I find my talks exposing the danger of finance and its entanglement with mainstream political parties on websites side by side with crazy conspiracy theories… »

[2] « beyond allegations and denials »

[3] C’est le cas par exemple de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, tuée après l’explosion de sa voiture en octobre 2017. Ses enquêtes ont ensuite été continuées par un consortium international de journalistes de l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project). Le Daphne Project est le premier projet mené par Forbidden Stories, une organisation de journalistes d’enquête internationaux dont la mission consiste à poursuivre les enquêtes débutées par des journalistes assassinés ou menacés, partout dans le monde. Site web : https://forbiddenstories.org/

[4] S’ils semblent aujourd’hui extrêmement valorisés, le journalisme d’enquête et sa volonté de dénoncer des scandales n’ont pas toujours été appréciés dans le milieu journalistique, du moins en France. Comme le montre Chalaby (2004, p.1199), les premiers médias qui s’y sont adonnés ont d’abord été critiqués par les professionnels comme « dépassant les limites » (‘out of bounds’). Ce n’est qu’à partir des années 1980, avec notamment l’apparition d’un marché médiatique concurrentiel, que l’idéal du journalisme d’enquête a progressivement remplacé celui du journalisme politique.

[5] “A persistent theme in scholary work on investigative journalism has been that of promoting an ‘open society’ by exposing malfeasance and enlightening the public through publication or broadcast with the objective of stimulating corrective and progressive change”

[6] « This fosters a false and complacent public impression that if there is any wrongdoing by government or corporate officials, heroic journalists are doing everything they can to track it down and report it. »

[7] « It is extremely difficult, if not impossible, for these reporters (…) to cover the ‘official’ daily news and the insider machinations about decisions and also track the influence of hundreds of well-paid lobbyists and well-staffed PR firms dedicated to protecting huge corporations’ interests and who have vast access to policymakers»

[8] « [For muckrackers], the task was exposing corruption and malfeasance in public life, and the goal was enlisting able, uncorrupted individuals to be leader of government. »

[9] «For the public journalists, the goal is a bottom-up reconnection in which the citizens are re-energized and re-engaged in government and civic life trough journalists’ guidance and empowerment»

[10] Dataharvest. The European Investigative Journalism Conference est une conférence internationale sur le journalisme d’enquête européen, qui réunit chaque année des journalistes et experts du monde entier pour des conférences, des colloques, des Masterclass, etc. Le site internet de la Conférence : https://dataharvest.eu/.

[11] Freedom of Information in the Administration (FoIA) (Liberté d’information dans l’administration). En Suisse, l’équivalent est La loi sur la transparence (LTrans) et en France, ce sont les lois relatives à la transparence de la vie publique.

[12] « (…) corporations are hard targets for reporters to cover because there is less pressure for firms to provide information. While a journalist can make FOIA request from federal government (…) there is no similar tool that give reporters the ability to pry information out of a company”

[13] (Entretien, rédacteur en chef, journal régional, 21 décembre 2020). Entretien mené par l’auteur de l’article dans le cadre du projet MediaLaboratory, mené par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et l’Académie du Journalisme et des Médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

[14] Les mesures superprovisionnelles, prévues par l’article 265 du Code civil suisse, permet à un tribunal de prendre des mesures urgentes, sans consultation de la partie adverse. Dans le cas de publication médiatique, ces mesures sont souvent prises quelques jours, voire quelques heures avant une publication annoncée, lorsque la personne ou l’institution concernée par la publication prend connaissance des révélations qui la concerne. Il s’agit le plus souvent du moment où les journalistes « confrontent » les cibles de leurs recherches aux informations qu’ils ont trouvées. Les mesures superprovisionnelles permettent alors de retarder la publication en attendant une décision de la justice, portant sur le caractère licite du contenu médiatique. Par exemple le milliardaire Roman Abramovitch, propriétaire du FC Chelsea, a fait interdire la publication de certaines informations concernant son lieu de domicile par un tribunal cantonal suisse en février 2018 (Parvex & al., 2018)

[15] “(…) there is occasional threat or even act or violence. But journalists in the UK are more likely to face legal or commercial constraints (…) than to receive an invitation to sleep with the fishes”

[16] “(…) pursuing government in investigations is ultimately more fruitful for citizens because government – whether federal, state, or local – will generally have far more impact on a person’s life than a company. »

[17] “Arguably, corporate titans might be in a better position to abuse the public trust than many government officials.”

[18] “The reporters were clearly concerned about the lack of investigations of business, and some even suggested that this was harming society.”

[19] “So I think if a company basically starts axing people wholesale, it’s no different than what the media companies are doing these days; instead of really questioning the impact on lives and the real justification for it, we don’t really give the same concern to that as we would sometimes with government.”

[20] Entretien de recherche mené dans le cadre d’une thèse de Master présenté à l’Académie du journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel par Sandra Miura en 2020 : « Le journalisme de terrain : un outil pour regagner la confiance du public ? Témoignages de romands, décryptage et solutions ». Disponible à la bibliothèque de la faculté des sciences économiques de l’Université de Neuchâtel.

[21] « (…) the conviction that government is inevitably, irrevocably, chronically up to no good, not to be trusted and conspiratorial ».

[22] Comme le rappelle Joris Luyendijk (2018) dans sa présentation, le terme de ‘useful idiots’ (idiots utiles) a été employé durant la guerre froide pour qualifier les individus des pays Occidentaux à aider la cause soviétique ‘malgré eux’, sans en avoir conscience et sans être des défenseurs du communisme. « Le mouvement pacifiste en Europe occidentale dans les années 80 est souvent cité en exemple : les pacifistes ont pu croire qu’ils se battaient pour la paix en s’opposant aux armes nucléaires. Pour les Soviétiques, ils étaient des pions ignorants dans les jeux de guerre froide du Kremlin avec les gouvernements occidentaux ; des idiots utiles. » (Luyendjik, 2018)

[23] « Are investigative journalists at risk of becoming the useful idiots for demagogues and protest parties across the West as these launch their full-scale attack on representative democracy? (…) Are we providing the ammunition for their assault? »

[24] « (…) rather than offering an actionable, fact-based and well-argued alternative for the future, they merely offer a platform for legitimate as well as illegitimate frustrations, defining themselves primarily by what and who they are against.»

[25] « The assumption is that the political and economic system is essentially good but is perverted by corrupt practices. The belief is that if these practices are exposed, the system will be better for it. These ideas rest on a libertarian philosophy. Human beings are free agents that choose their own values and largely determine their fate. They are responsible for their actions, and when they deviate from the norm, they must be exposed and if necessary, delivered to the public vindict. Until recently, France was foreign to these ideas. For a long time, the dominant social theories have focused on the system itself rather than the individual. »

[26] Par exemple Mediapart en France, ou Republik en Suisse.

[27] Notamment avec les Offshore Leaks, Panama Papers, Paradise Papers, Football Leaks, West Africa Leaks, Bribery Division, Mauritius Leaks, Luanda Leaks, FinCEN Files, Malta Files, Jersey Offshore ou Tax Evader Radar. Ces projets ont été menés soit par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), soit par l’European Investigative Collaborations (EIC).

[28] De Blic (2007, p.244) relevait déjà que, bien que leur nombre continuait de croître, les scandales financiers ne parvenaient plus «à embrayer sur des mobilisations d’ampleur ou à susciter des protestations collectives », en raison d’une « relative indifférence du public ».

[29] Entretien de recherche mené le 11.01.2018 avec un journaliste d’enquête suisse romand, dans le cadre du projet de recherche n° 173315 du Fonds National Suisse, « L’enquête journalistique : du mythe au renouvellement. Comment un genre fondateur du journalisme se met en valeur à travers ses méthodes et sa narration ». http://p3.snf.ch/Project-173315

[30] Ces exemples sont extraits de différents numéros de la Revue dessinée, qui regroupe dans chaque édition plusieurs enquêtes ou reportages en bande-dessinée. https://www.4revues.fr/la-revue-dessinee/

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1 Responses to Les risques du journalisme d’enquête

  1. Mashhurbek dit :

    Àaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaàaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

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