Alors que de plus en plus de gouvernements envisagent de subventionner les médias pour les aider à surmonter la crise du coronavirus, Paul Clemens Murschetz se penche sur le cas de l’Autriche, où un système de subventionnement de la presse est en vigueur depuis près d’un demi-siècle.
L’intervention des gouvernements sur le marché des médias sous forme d’aide financière n’est pas nouvelle en Europe. Dans certains pays, elle a toujours été considérée comme un moyen acceptable de garantir la liberté de la presse et le pluralisme des médias.
Dans le monde anglo-saxon, une approche minimaliste de la réglementation de la presse est généralement préférée ; les gouvernements sont réticents à soutenir des médias incapables de survivre sans une forme quelconque d’aide financière. En revanche, des pays continentaux tels que l’Autriche, la France, la Norvège et la Suède ont régulièrement opté pour des politiques publiques beaucoup plus interventionnistes, estimant qu’il s’agit de la meilleure façon de sauvegarder la pluralité de l’offre et la diversité des opinions.
En Autriche, les médias d’information auraient du mal à survivre sans une forme quelconque de soutien public. Avec une population relativement faible (environ 8 millions d’habitants), le pays dispose d’un marché médiatique restreint. De plus, les médias autrichiens doivent faire face à la concurrence des gros journaux allemands tels que par exemple le magazine Der Spiegel et l’hebdomadaire Die Zeit.
Un cas unique
Les aides à la presse ont été introduites pour la première fois en 1975 par le gouvernement social-démocrate dirigé par Bruno Kreisky et se sont poursuivies sous une forme ou une autre jusqu’à nos jours. L’objectif des subventions actuellement en vigueur est défini par la loi sur les subventions à la presse de 2004, qui est toujours valable.
Les subventions disponibles se répartissent en trois catégories : les « subventions générales de distribution » (octroyées l’année passée à 11 quotidiens et 37 hebdomadaires), les « subventions spéciales pour le maintien de la variété » (octroyées à quatre quotidiens) et la « promotion de la qualité et les subventions adaptées à l’avenir » (octroyées à 58 journaux).
Tous les quotidiens et hebdomadaires autrichiens bénéficient de subventions publiques directes, ce qui n’est le cas dans aucun autre pays d’Europe.
Tous les quotidiens et hebdomadaires autrichiens bénéficient de subventions publiques directes, ce qui n’est le cas dans aucun autre pays d’Europe. En 2019, le gouvernement a soutenu la presse avec des subventions directes s’élevant à 8,9 millions d’euros.
Depuis son entrée en vigueur, ce type d’aide a suscité plusieurs critiques. Ses détracteurs l’accusent de fausser la concurrence au profit des grands acteurs, notamment les journaux à grande diffusion Kronen Zeitung (qui touche 31 % de la population) et Kurier, ainsi que les leaders des marchés régionaux (Kleine Zeitung, Der Standard, Die Presse).
La catégorie « promotion de la qualité » comprend des subventions destinées à aider les éditeurs à couvrir les coûts de formation des nouveaux journalistes et les dépenses relatives à l’emploi de correspondants étrangers. Une autre les encourage à fournir gratuitement des quotidiens et des hebdomadaires aux écoles.
Favoriser le débat public ?
Toutes ces formes de soutien public devraient idéalement favoriser le débat public et améliorer la qualité du discours politique. Cependant, les aides d’État aux médias soulèvent aussi plusieurs problèmes.
Le régime de subventions à la presse a aidé les journaux autrichiens à surmonter quelques tempêtes financières et a permis à certains titres de rester en vie pendant longtemps. Mais il n’a pas rendu le secteur totalement imperméable aux pressions économiques qui affectent les médias européens. De plus, il n’a contribué que de manière marginale à l’amélioration des normes éditoriales.
Le régime de subventions à la presse n’a pas rendu le secteur totalement imperméable aux pressions économiques.
La crise du coronavirus a mis une fois de plus la question sur le devant de la scène. Pour atténuer l’impact économique de la pandémie sur le secteur des médias, le gouvernement autrichien a promulgué une loi Covid-19 qui comprend une mesure de soutien extraordinaire destinée aux propriétaires des médias écrits et audiovisuels.
Pas de solution miracle
Mais le ciblage de ce soutien soulève à nouveau quelques questions pertinentes. Comment le gouvernement autrichien a-t-il déterminé la meilleure façon d’enrichir le discours des médias en temps de crise ? Quelle est l’importance du fait que l’un des principaux bénéficiaires du financement spécial prévu par la loi Covid-19 est le Kronen Zeitung, le leader du marché des tabloïds favorable au chancelier Sebastian Kurz ?
Les autres médias d’information ont tous reçu des sommes beaucoup plus modestes. Alors que le Kronen Zeitung a bénéficié d’un soutien de 2,72 millions d’euros supplémentaires, le quotidien libéral Der Standard en a reçu 450’000, le journal conservateur Die Presse 450’000, le magazine politique Profil 104’000 et l’hebdomadaire d’investigation de gauche Der Falter 127’000. Ces médias ont-ils été systématiquement désavantagés par rapport au Kronen Zeitung ? Comment cet écart contribue-t-il à améliorer la qualité du discours politique ?
En conclusion, si le soutien prévu par la loi Covid-19 peut apporter un soulagement à court terme aux médias en difficulté, il est indéniable qu’une réforme radicale du système autrichien de subventions aux médias est nécessaire depuis longtemps. Comme le montre l’expérience autrichienne, les aides d’État aux médias et au journalisme n’apportent pas une solution miracle à la crise du secteur de l’information.
Pour aller plus loin
Murschetz, P. C. (2020). State Aid for Independent News Journalism in the Public Interest? A Critical Debate of Government Funding Models and Principles, the Market Failure Paradigm, and Policy Efficacy. Digital Journalism
Cet article a été initialement publié sur le site anglophone de l’EJO.
Tags: Aide aux médias, aide étatique, Austria, Autriche, journaux, Subventionnement de la presse
[…] Lire la suite… […]
[…] A lire aussi : Aides d’État aux médias : l’exemple de l’Autriche, cas unique en Europe […]