Equiper les journalistes pour lutter contre la désinformation : le nouveau Verification Handbook

15 juillet 2020 • Déontologie et qualité, Pédagogie et formation, Récent • by

Les contenus trompeurs peuvent induire en erreur même les journalistes les plus expérimentés. Image: AS.

Les techniques utilisées par les agents de la désinformation peuvent induire en erreur même les journalistes les plus expérimentés. Pour vérifier certaines informations, ceux-ci doivent être en mesure d’enquêter sur les réseaux sociaux, les bots et les deepfake. Récemment publiée, la dernière édition du Verification Handbook vise à leur donner les moyens de le faire. Dans un article publié sur le site anglophone de l’EJO, Asma Abidi en résume les grandes lignes.

La troisième et dernière édition du Verification Handbook porte le sous-titre « Pour la désinformation et la manipulation des médias » (For disinformation and media manipulation). Publié par l’European Journalism Centre, ce manuel vise à fournir aux journalistes les connaissances et les compétences nécessaires pour enquêter sur les réseaux sociaux, les bots, les applications de messagerie privée, les deepfake et d’autres formes de désinformation et de manipulation.

Pour ce faire, il prend appui sur le précieux contenu des deux premières éditions, le Verification Handbook et le Verification Handbook for investigative reporting.

Dans son introduction, l’éditeur Craig Silverman cite un exemple démontrant comment un contenu viral, grâce à sa capacité à imiter de manière convaincante la réalité, peut tromper même les journalistes les plus expérimentés. M. Silverman souligne qu’il suffit parfois d’une recherche Google pour debunker une fausse information. Pourtant, les journalistes peuvent toujours être induits en erreur par ce qu’ils pensent savoir, ou par des signaux numériques tels qu’un grand nombre de retweets et de vues.

« Le langage compte »

Le deuxième chapitre de l’introduction, « L’âge du trouble de l’information » (The age of information disorder), porte la signature de Claire Wardle, directrice de l’organisation américaine First Draft. Dans sa contribution, elle explique pourquoi elle s’oppose à l’utilisation généralisée du terme « fake news » pour décrire tout type de désinformation.

Selon Wardle, il s’agit d’une expression inadéquate qui n’arrive pas à rendre compte de la complexité du problème. Elle souligne aussi que ce terme est utilisé par certains politiciens pour attaquer les médias et saper leur crédibilité. Elle propose donc un modèle comprenant sept formes de « trouble de l’information » : la satire, la fausse connexion, le faux contexte, le contenu trompeur, le contenu imposteur, le contenu manipulé et le contenu fabriqué. Elle insiste sur le fait que « le langage compte » : il est essentiel que les termes corrects soient utilisés pour décrire ces phénomènes.

Lire aussi : Cinquante nuances de désinformation, notre résumé de la classification de Claire Wardle

Claire Wardle explique aussi la différence entre désinformation, mésinformation et malinformation. Ce dernier terme est un néologisme qui décrit une information authentique partagée avec l’intention de nuire.

L’enquête sur les réseaux sociaux

Le manuel contient également un chapitre consacré à l’enquête sur les réseaux sociaux (Investigating social media accounts). Cette section explique comment identifier les personnes à partir des traces qu’elles laissent sur internet : leurs noms d’utilisateur, leurs adresses email, leurs photos et leurs contacts.

La dernière édition du Verification Handbook.

Journaliste d’investigation à NBC News, Brandy Zadrozny partage les stratégies qu’elle utilise pour trouver l’identité des individus qui se cachent derrière des comptes de réseaux sociaux. Des outils comme Pipl et Skopenow aident les journalistes et les enquêteurs à croiser des informations provenant du « monde réel », comme les numéros de téléphone et les registres de propriété, avec des registres en ligne, comme les adresses email et les noms d’utilisateur. Le site Namechk, qui permet de voir si un nom d’utilisateur donné est disponible, peut être utilisé pour vérifier l’existence d’un identifiant sur plusieurs plateformes.

Un chapitre intitulé « Repérer les bots, les cyborgs et les activités non authentiques » (Spotting bots, cyborgs, and inauthentic activity) a été rédigé par deux enquêtrices de Bellingcat, un média d’investigation spécialisé dans la vérification des faits et le renseignement d’origine source ouverte. Les deux auteures y décrivent certains outils et techniques permettant par exemple d’identifier les bots sur Twitter.

La vérification du contenu visuel

Les journalistes qui doivent vérifier des contenus visuels sont encouragés à utiliser des outils tels que InVID, Yandex Image Search, TinEye, Google Image Search et Forensically. Le manuel oriente également les lecteurs vers des ressources externes telles que le guide de vérification (Verification guide) de First Draft, qui peut être utilisé pour examiner les images et les vidéos.

Les journalistes et les militants sont de plus en plus souvent la cible de menaces et de campagnes de désinformation en ligne. Sam Gregory, défenseur des droits de l’homme et spécialiste en technologies, a contribué à la rédaction d’un chapitre du manuel (How to think about deepfakes and emerging manipulation technologies). Sa contribution vise à donner aux lecteurs une compréhension de base du fonctionnement des deepfake et des contenus créés par l’intelligence artificielle.

Lire aussi : Quelle est la véritable efficacité des politiques anti fake news des réseaux sociaux ?

Les rédactions qui travaillent sur des questions impliquant la publicité politique et le microciblage en période électorale peuvent tirer profit du chapitre intitulé « Analyser la publicité sur les réseaux sociaux » (Analyzing ads on social networks), consacré à l’identification des personnes qui sèment la désinformation par le biais de publicités politiques ciblées.

Johanna Wild, enquêtrice de Bellingcat, décrit comment il est possible d’utiliser les bibliothèques publicitaires (ad libraries). Récemment créé, cet outil répertorie les annonces diffusées sur plusieurs réseaux sociaux, et permet d’en vérifier l’origine. Wild note que les journalistes qui se donnent la peine de s’attaquer aux fonctionnalités cachées de ces bibliothèques trouveront qu’elles constituent un ajout facile et puissant à leur boîte à outils d’investigation numérique. Le chapitre comprend un guide étape par étape des bibliothèques publicitaires des principales plateformes.

Les auteurs du manuel analysent également plusieurs cas de manipulation et de désinformation survenus aux Philippines, aux États-Unis, à Hong Kong, au Brésil, en Indonésie et au Royaume-Uni.

Les contributions de tous ces journalistes et ces experts en technologies de renommée mondiale, qui couvrent un éventail impressionnant de sujets, font du Verification Handbook for disinformation and media manipulation une ressource fantastique, fournissant de précieux conseils sur la manière d’enquêter sur les campagnes de manipulation et de désinformation en ligne.

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