L’ONG Reporters d’Espoirs a réalisé une étude qui analyse le traitement médiatique du changement climatique en France entre 2010 et 2019. Parue en juillet 2020, elle fait partie de l’initiative MédiasClimat, qui propose également un guide interactif destiné aux journalistes travaillant sur ce sujet. Voici les points saillants du rapport, ainsi que quelques conseils pratiques.
Les résultats, bien que différents d’un support à l’autre, se résument ainsi. De manière générale, la médiatisation de la thématique environnementale a beaucoup progressé au cours de la décennie écoulée, mais ce sujet reste très peu évoqué dans les médias.
De plus, la grande majorité des sujets se contentent de faire référence à l’environnement, sans évoquer le problème climatique.
Préoccupations et solutions
Avant d’entrer dans les détails des résultats, il est intéressant de considérer les raisons qui ont motivé la réalisation de l’étude. En s’appuyant sur plusieurs enquêtes, les auteurs montrent combien le réchauffement climatique occupe une place importante dans les préoccupations des Français.
En novembre 2019, l’environnement est la première source d’inquiétude de la population. Un autre sondage montre que même en pleine pandémie de coronavirus, le changement climatique reste la troisième préoccupation des Français, derrière le Covid-19 et le système de santé (chiffres d’avril 2020). Les résultats des élections municipales de juin 2020 semblent d’ailleurs confirmer cette thèse.
Les auteurs rappellent aussi que la médiatisation des problèmes climatiques peut entraîner un effet concret sur les comportements des citoyens. Tel est l’avis de 81% des personnes interrogées dans un sondage réalisé en 2019 par Harris Interactives.
L’étude analyse aussi les articles et les reportages de l’échantillon en fonction de leur caractère « constructif ». Cet adjectif qualifie les sujets qui ne se limitent pas à évoquer un problème, mais qui proposent aussi des réponses « permettant d’ouvrir une perspective de résolution ». Cela n’est pas surprenant si l’on considère que Reporters d’Espoirs est à l’origine du « journalisme de solutions ». Selon l’ONG, cette pratique se prête particulièrement bien au traitement du changement climatique.
Les résultats en détail
L’étude se focalise sur cinq périodes différentes : l’année 2019, la décennie 2010-2019, ainsi qu’une période d’un mois en 2010, 2018 et 2019. Elle se base sur un échantillon de plusieurs contenus médiatiques, comprenant des articles de presse, des sujets télévisés et des sujets radiophoniques.
Ceux-ci ont été classés en trois catégories : les sujets qui font référence à l’environnement, ceux qui évoquent le réchauffement climatique et ceux qui proposent des solutions concrètes.
Les articles consacrés à l’environnement sont, assez logiquement, plus nombreux que les sujets faisant référence au changement climatique. La première catégorie, qui comprend des thèmes tels que les intempéries, est beaucoup plus large que la deuxième.
Quand les sujets évoquant l’environnement ne sont pas liés à la question climatique, alors qu’ils auraient pu l’être, les auteurs parlent d’« occasion manquée ». Ceci est par exemple le cas lorsqu’un article qui porte sur les incendies en Californie ne mentionne pas leur lien avec le réchauffement climatique.
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Ceux qui en parlent le plus
La quantité d’articles de presse portant sur le changement climatique a augmenté de manière constante, bien que pas uniforme, au cours de la décennie écoulée. Après le pic provoqué par la COP 21, le nombre de sujets a baissé, pour ensuite rattraper et dépasser le niveau de 2015. En 2010, seuls 0,57% des articles de la presse quotidienne nationale faisaient référence au climat, contre 3,8% en 2019. Sur cette période, le taux de sujets consacrés au climat par la presse quotidienne régionale est passé de 0,17% à 0,68%.
Comme ces chiffres le suggèrent, la presse nationale est le média généraliste le plus impliqué sur la question climatique. Le Monde arrive en tête du classement : avec 5% de sa production éditoriale évoquant le climat en 2019, le quotidien se classe loin devant les autres médias analysés. A titre de comparaison, seuls 0,87% des articles publiés par Sud-Ouest en 2019 font référence au climat, alors que ce média est le titre régional qui consacre le plus de sujets à cette thématique.
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Les plus constructifs
Malgré ce pourcentage plutôt bas, la presse régionale est parmi les médias les plus constructifs de l’échantillon. 28% des sujets consacrés au climat exposent aussi des initiatives concrètes, alors que seuls 17% des articles évoquant ce thème dans la presse nationale adoptent un angle constructif.
Les journaux télévisés analysés (les JT du soir de TF1 et de France2) affichent eux aussi des taux relativement élevés de sujets proposant des solutions. Lorsqu’il s’agit de parler de climat, le JT de TF1 comporte 25% de sujets constructifs. Ceux-ci représentent 20% des sujets climatiques du TJ de France2.
A l’image de la presse écrite, la quantité de sujets télévisés abordant le climat a augmenté depuis 2010, mais ceux-ci ne représentent qu’une petite partie du total. Entre le 20 octobre et le 20 novembre 2019, moins de 1 % des sujets se référaient à la question climatique dans les journaux télévisés de 20 heures.
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Ceux qui n’en parlent presque pas
Avec des taux allant de 0 à 1,3% des sujets évoquant le changement climatique, les journaux radio du matin sont la lanterne rouge du classement. Le thème est absent des journaux du matin sur RMC et n’apparaît que rarement sur RTL et France Inter.
La thématique climatique, pourtant transversale, semble cantonnée aux interviews et aux chroniques spécialisées, notent les auteurs de l’étude. De plus, aucun des sujets consacrés au climat des journaux radio analysés ne peut être qualifié de constructif.
Quelques conseils
L’étude est complétée par les conseils pratiques de journalistes et experts, portant sur la manière de traiter des questions climatiques. Tour d’horizon.
- Jean Jouzel, climatologue : « On ne peut pas être journaliste sur le changement climatique sans s’informer à travers les rapports du GIEC. Ces rapports restent des documents extrêmement riches et exacts, issus d’une expertise collective ».
- Marc Cherki, journaliste : « Pour me forger une culture climat, j’ai commencé par rencontrer des experts. J’ai passé des jours et des jours à rencontrer des grands scientifiques français ».
- Aude Massiot, journaliste : « Pour se forger une culture climat, c’est toujours une bonne chose de suivre les chercheurs français du CNRS. Je suis aussi une série de newsletters anglosaxonnes, comme Carbon Brief ou Climate Nexus, qui proposent un bon tour d’horizon de l’actualité climatique ».
- Magali Payen, fondatrice de On est Prêt : « Mon conseil est de donner les informations climatiques telles qu’elles sont, à savoir très anxiogènes, mais d’apporter tout de suite les solutions, pour éviter aux gens de tomber dans la sidération puis dans le déni ».
Et ailleurs dans le monde ?
Si l’on élargit la perspective, il est intéressant de remarquer que certaines tendances mises en lumière par l’étude semblent se produire ailleurs.
Selon un rapport de l’organisation Media and Climate Change Observatory, la couverture du changement climatique a progressé de manière significative au cours de l’année 2019. En Allemagne et au Royaume-Uni, la quantité de sujets consacrés au climat a plus que doublé par rapport à 2018. En Nouvelle-Zélande, en Australie et en Espagne, la médiatisation du climat a progressé respectivement de 95%, 90% et 88%.
Aux Etats-Unis, les sujets télévisés consacrés au climat ont augmenté de 138% entre 2018 et 2019. Dans ce pays, tout come en France, le réchauffement climatique est devenu une source d’inquiétude importante pour la population. Selon un sondage publié par le Pew Research Center en février 2020, la protection de l’environnement rivalise pour la première fois avec l’économie parmi les principales priorités politiques des Américains.
Dans un article publié sur YCC, le chercheur Michael Svoboda estime que cette tendance peut s’expliquer par la fin de la récession économique commencée en 2008, ainsi que par l’opposition belliqueuse de Donald Trump à la lutte contre le changement climatique. Selon Svoboda, il existe de bonnes raisons de conclure qu’une large couverture médiatique, associée à une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, a contribué à changer l’opinion publique.
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Tags: changement climatique, climat, climate change, climate change coverage, environnement, étude, journalisme de solutions, réchauffement climatique, reporters d'espoirs
Les prétendus fact checkers ne sont ni des saints ni des génies porteurs de la science infuse.
Ils ont leurs opinions, une formation plus ou moins pointue, leurs préjugés et leurs choix politiques.
Leur hypocrisie consiste à enfumer les esprits simples en se prétendant porteurs de vérités « vérifiées ».
Comme si chaque assertion ne pouvait être examinée que sous un seul angle, le bon, donc le leur.
D’autant que sur medias ou web, les propagandes se confortent les unes les autres en se reprenant mutuellement.
En outre, affirmer qu' »On ne peut pas disserter de l’évolution des climats sans s’aligner sur les assertions du GIEC » revient à dire : « on ne peut pas écrire un bouquin sur l’histoire du IIIème reich sans suivre l’avis des néonazis ».
Bonjour,
Votre commentaire surprend par son caractère décalé par rapport au présent article ; mais également par son manque de clarté.
Et si vos critiques sont légitimes : personne n’a la science infuse, nous avons tous des préjugés et préférences, un même sujet doit la plupart du temps être analysé sous plusieurs angles, oui les médias brassent de l’information de mauvaise qualité en négligeant souvent la vérification d’informations et le contexte dans lequel elles se placent, oui il y a des conflits d’intérêts…
Et on peut même en rajouter : la recherche scientifique est par définition réductionniste – elle produit des connaissances dans des conditions standardisées qui ne sauraient s’appliquer directement aux situations complexes face auxquels les décideurs font face ; il y a également des effets de sélection des scientifiques qui travaillent sur certains sujets ; des interactions entre les travaux de recherche et l’environnement sociopolitique (la recherche peut gêner les intérêts politiques ou les stimuler, avec des conséquences sur les financements ou le recrutement) ; ou encore des biais de publication multiples.
Pour autant, toutes ces critiques ne doivent pas de laisser de place au relativisme : tous les discours ne se valent pas.
Il y a des savoirs robustes, de qualité, car produits avec méthode, recul sur ses préjugés, relectures attentives et critiques collectives… Et il y a les opinions du café du commerce ou les critiques pseudo-scientifiques, propulsées par le raisonnement motivé.
Il y a le doute méthodologique, qui est un doute sain pour s’interroger sur la qualité de nos savoirs,
et le doute systématique qui revient à douter de tout sans se donner de critères solides pour savoir ce qu’on considèrera comme vrai… Et ça revient à croire ce qu’on a envie de croire.
En l’occurrence, le GIEC est une institution difficilement critiquable méthodologiquement ; demandée au départ part des administrations (Thatcher et Reagan) plutôt climatosceptiques, et dont le fonctionnement est par exemple détaillé ici : https://www.youtube.com/watch?v=C_UTlTiVQ_0
Donc je ne saisis pas très bien votre dernière phrase, mais oui, sur la partie scientifique du débat, on ne peut être de bonne foi sans accepter les conclusions des rapports du GIEC.