Les blogs d’information ont le vent en poupe mais ne font pas l’unanimité. Du point de vue des professionnels, les blogueurs sont souvent perçus comme de simples amateurs, alors qu’ils partagent certains standards journalistiques et ont davantage en commun qu’on ne pourrait le penser. De là à sérieusement concurrencer les journalistes ? Pas pour le moment, explique une étude allemande de la Fondation Otto Brenner, qui s’est attachée à documenter les similitudes de pratiques entre les deux groupes.
Deux chercheurs de l’Université d’Ostphalie ont en effet sondé en ligne 936 journalistes professionnels, 463 rédacteurs de blog ainsi que plus de 150 usagers. Ils ont également approfondi leurs résultats en interviewant plus en détail 20 blogueurs. Des rédacteurs de blogs divers (technologie, mode ou encore voyages) ont été pris en compte à condition que ces derniers répondent à des exigences journalistiques (autonomie, actualité, périodicité). Voici, résumés en neuf points, les résultats de cette enquête.
1. Pertinence
Les journalistes pensent que les blogueurs ont peu de pertinence journalistique. Un tiers des journalistes professionnels estime que les blogs ne diffusent pas d’informations importantes. A l’inverse, les blogueurs, eux, valorisent davantage le travail des journalistes et estiment qu’ils font preuve d’esprit critique dans leurs articles. Les deux groupes s’accordent à dire que le succès croissant des blogs est le résultat d’une insatisfaction du public vis-à-vis des médias traditionnels.
2. Formation et professionnalisme
L’étude indique que les blogueurs sont généralement moins formés en journalisme, en termes de techniques et de théorie, que les journalistes professionnels. Ils ont également rarement fait un stage dans le domaine. Cependant, un blogueur sur sept a étudié les sciences de la communication.
Un tiers des blogueurs de l’étude travaille plus de 20 heures par semaine, perçoit un revenu de son travail et peut être considéré comme un blogueur professionnel. Ils travaillent souvent pour de très faibles salaires indiquent néanmoins les chercheurs.
Du point de vue des méthodes de travail, les blogueurs effectuent rarement leurs recherches en dehors d’internet, contrairement aux journalistes professionnels. Ils ont plutôt tendance à investir ce temps dans le marketing.
3. Objectifs
Tant les journalistes professionnels que les blogueurs veulent avant tout diffuser de l’information. Les blogueurs se concentrent cependant davantage sur un rôle de divertissement (1/3) tandis que les journalistes veulent exercer contrôle et critique (40%).
Ensemble, ils s’accordent sur les critères de base qui fondent la qualité des contenus: l’exactitude, la crédibilité, l’indépendance et la capacité d’expliquer des questions complexes sont tout aussi importantes. Les journalistes professionnels valorisent davantage les reportages objectifs alors que les blogueurs préfèrent une écriture personnelle et littéraire.
4. Qualité
Les auteurs de l’étude distinguent les critères de qualité fonctionnels, normatifs et axés sur la mission démocratique (tels que la pertinence, l’exactitude ou l’actualité), des critères de qualité axés sur l’audience (tels que la proximité ou le divertissement). Selon cette distinction, les journalistes professionnels donnent la priorité aux premiers, tandis que les blogueurs aux seconds.
5. Participation
Les blogueurs investissent plus de temps dans la relation avec leur public, par exemple par le biais des commentaires. La proximité avec le lecteur leur semble plus importante. Cela dit, peu d’utilisateurs ont effectivement recours aux outils participatifs du net, même dans le cas des blogs.
6. Attitude à l’égard des relations publiques
Tant les blogueurs que les journalistes professionnels se plaignent de la mauvaise qualité des communiqués de presse issus des organes et des institutions officiels. Les blogueurs critiquent le fait qu’ils n’ont pas toujours accès aux conférences de presse, bien qu’ils aient le sentiment de se faire accepter petit à petit dans le milieu.
7. Publicité
On reproche souvent aux blogueurs de recourir à la publicité déguisée. En fait, l’étude révèle que les blogueurs indiquent leurs contenus sponsorisés aussi souvent (91,6%) que les journalistes (91,7%). Les chercheurs préviennent toutefois que les blogueurs ont pu prendre en compte les attentes en répondant aux questions. En particulier, les contenus publiés sur YouTube et Instagram pourraient inclure davantage de placements de produits que ces chiffres ne le suggèrent.
En outre, l’étude montre que les blogueurs sont confrontés à un conflit de rôle plus important entre leur engagement envers le public et la nécessité d’attirer les annonceurs. Dans le cas des journaux traditionnels, la séparation entre la rédaction et l’éditeur permet davantage de séparation entre ces deux casquettes du métier.
Certains blogueurs choisissent d’engager un service externe pour s’occuper du marketing. Une grande majorité d’entre eux (93,1%) a également déclaré refuser la publicité lorsqu’elle est en désaccord avec la ligne éditoriale du blog, au risque de perdre de l’argent.
8. Similitudes
L’étude des chercheurs allemands montre que les journalistes professionnels et les blogueurs se ressemblent à certains égards. Lorsqu’ils travaillent sur le même type de sujet, les membres des deux groupes ont souvent plus de similitudes entre eux qu’avec le reste du groupe.
C’est en mettant en avant leur fonction de contrôle et de critique que les blogueurs et les journalistes professionnels se ressemblent le plus. De même, ceux qui écrivent sur la mode, dans les deux groupes, sont ceux qui accordent plus de valeur à leur mission de service et de divertissement.
9. Concurrence ?
D’après l’étude, les blogueurs ne sont pas à ce jour des concurrents sérieux pour les journalistes professionnels. A titre d’exemple, le plus grand site d’information politique professionnel d’Allemagne (faz.net) atteint une audience cinquante fois plus grande que le plus grand blog politique (netzpolitik.org).
C’est dans le domaine «lifestyle» (mode, voyages, technologies) uniquement que les jeunes usagers préfèrent les blogs à l’offre des médias traditionnel. Étant donné la popularité croissante des médias sociaux et d’internet en général, une étude similaire pourrait conduire à des résultats très différents dans le futur, notent les chercheurs, même si, pour le moment, les blogs n’ont pas encore trouvé de modèles économiques durables.
L’étude complète en allemand peut être téléchargée ici. L’article original est paru en allemand ici.
Traduction: Pauline Cancela
Image de couverture: Christophe Benoit (Flickr CC BY 2.0)
Tags: Allemagne, Blogs, blogs journalistiques, blogueurs, frontières du journalisme, netzpolitik, placement de produits, valeurs journalistiques