Le « Police Codex », un code de conduite pour gérer la relation entre policiers et journalistes

29 janvier 2020 • Déontologie et qualité, Récent • by

La relation entre les journalistes et la police est complexe et ambivalente. Source: pxhere

La relation entre les journalistes et la police est complexe. Bien que ces deux institutions devraient avoir le même objectif, leur rapport est parfois tendu et conflictuel, voire violent. Pour améliorer cette situation, plusieurs associations défendant la liberté d’expression en Europe ont créé le premier code de conduite pour la police concernant la manière de se comporter envers les journalistes. Dans un article publié sur le site italophone de l’EJO, Sofia Verza en analyse les lignes directrices.

Peu de professions sont autant touchées par les préjugés que celles de journaliste et de policier. Ces préjugés existent et s’alimentent parfois mutuellement. C’est pour cette raison que la rencontre qui s’est tenue le 4 décembre à Bruxelles – entre certaines associations européennes s’occupant de journalisme et de liberté d’expression et Peter Smets, le représentant belge d’EuroCOP, la Confédération européenne de la police – a été particulièrement intéressante.

Ce jour-là, l’European Centre for Press and Media Freedom (ECPMF), une organisation qui défend la liberté d’expression dans toute l’Europe, a lancé son « Police Codex », le premier code de conduite pour la police concernant la manière de se comporter envers les journalistes. Ce texte considère plusieurs scénarios, allant des manifestations et des protestations à la surveillance des reporters et de leurs sources.

Une question, également soulignée par Peter Smets, se pose immédiatement : « Pourquoi faut-il s’inquiéter des journalistes en particulier ? Certains types d’abus ne devraient pas arriver aux journalistes comme à tout autre citoyen ». C’est vrai. Des droits tels que la liberté d’expression doivent être garantis à tout le monde. Mais la liberté de la presse mérite une protection particulière, puisqu’elle permet de sauvegarder le droit des citoyens à recevoir des informations.

Le code est développé en huit lignes directrices, huit points cruciaux à partir desquels il est possible d’établir une relation moins conflictuelle et plus coopérative entre les journalistes et la police :

  1. Toute violence perpétrée par des membres de la police à l’encontre des journalistes est inacceptable;
  2. Les journalistes ont le droit de recueillir des informations et la police doit les protéger contre toute ingérence indue, notamment lors de manifestations;
  3. Les journalistes devraient avoir le droit d’identifier le personnel de police, de documenter et d’informer sur son travail;
  4. La police n’est pas autorisée à supprimer des photos et des images ou à confisquer du matériel journalistique sans un mandat;
  5. Les journalistes ne devraient pas être criminalisés, discriminés ou exclus pour leurs prétendues attitudes politiques;
  6. Les journalistes ne devraient pas être soumis à la surveillance de la police;
  7. Si la police porte atteinte à un journaliste, le menace ou le harcèle, ces actes doivent faire l’objet d’une enquête, être condamnés et rendus publics par des organes indépendants;
  8. La police devrait être formée et régulièrement informée sur les droits des journalistes.

Commençons par analyser ces lignes directrices en partant d’un type de confrontation très intuitive : la confrontation physique, qui peut se produire lors de situations telles que les grèves et les manifestations. Rien qu’en 2019, il existe de nombreux exemples d’abus policiers à l’encontre de reporters en train de couvrir des manifestations, comme celles des Gilets Jaunes en France, où environ 120 incidents ont été signalés. Autre cas, les mobilisations pour l’indépendance en Catalogne, où des incidents sur près de 70 journalistes ont eu lieu. On peut également signaler la non-intervention de la police lorsque des reporters ont été agressés lors de manifestations d’extrême droite en Allemagne.

Un autre cas de violence policière est celui de Stefano Origone, journaliste de La Repubblica, agressé et battu alors qu’il couvrait une manifestation antifasciste à Gênes en mai dernier. Cette affaire nous permet de toucher un autre point du Code (point no 7). Comme l’a rapporté la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) lors de l’affaire Alikaj et autres c. Italie (2011), ce type de comportements devraient faire l’objet d’une enquête indépendante, alors que dans le cas de Stefano Origone, l’enquête a été confiée au même corps d’appartenance des agents soupçonnés d’avoir commis les abus.

De plus, les abus « de rue » soulèvent la grande question sur la reconnaissance des policiers (point no 3). Dans certains pays, les membres des forces de l’ordre peuvent être identifiés grâce à un numéro d’identification, visible par exemple sur le gilet pare-balles en Espagne ou sur le casque en Allemagne. Pourtant, dans d’autres pays il n’existe aucune forme d’identification, comme en Italie.

Surveillance

L’un des points du code qui a suscité le plus de débats est le numéro 6, notamment à cause de l’inadéquation de certaines méthodes de surveillance des journalistes et de leurs sources. A cet égard, il a été fait référence à l’affaire Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni (2018), dans lequel le Royaume-Uni a été condamné pour violation du droit à la vie privée et à la liberté d’expression des journalistes impliqués. De plus, les forces de police britanniques ont utilisé la législation anti-terroriste pour obtenir des enregistrements de conversations téléphoniques d’un journaliste du Sun afin d’enquêter indirectement sur l’une de ses sources dans une affaire de corruption politique.

Cet arrêt comporte deux points essentiels, qui reviennent dans de nombreuses autres affaires de surveillance des journalistes par la police. D’un côté, une législation spéciale, telle que la législation antiterroriste, permet de contourner la nécessité d’une autorisation du juge pour certains types d’opérations. De l’autre, l’objectif principal de la surveillance n’est souvent pas le journaliste, mais plutôt ses sources. Comme l’a précisé la Cour, la protection des sources est cependant cruciale pour la défense de la liberté de la presse, car elles jouent un rôle très important pour les journalistes dans le développement d’enquêtes d’intérêt public.

Différences nationales

Finalement, lors de l’élaboration d’un code de conduite européen, il faut garder à l’esprit que les pratiques des forces de police et les possibilités de dialogue avec la presse diffèrent fortement d’un pays à l’autre. La situation de la Belgique, telle que décrite par Peter Smets, n’est guère comparable à celle de l’Espagne ou de la Turquie. Dans certains contextes, pour les journalistes, « cela n’a pas de sens de dénoncer les abus policiers » – comme l’explique le journaliste bosniaque Ivan Begić, qui a été battu alors qu’il couvrait une manifestation – en raison de l’impunité des policiers.

Il est donc nécessaire de prendre en compte les différents contextes culturels et les différentes formes de séparation des pouvoirs dans les pays européens. Comme l’a également souligné le représentant d’EuroCOP, la gestion des organes de police est toujours considérée comme une affaire intérieure aux différents États. Il est donc difficile de travailler en coopération entre les organes internationaux et d’établir des normes communes.

De ce point de vue, l’éducation semble être la première étape. Il est souhaitable que les associations à l’origine du « Police Codex »  – l’Osservatorio Balcani e Caucaso Transeuropa, l’European Federation of Journalists, l’Index on Censorship, l’Ossigeno per l’informazione et le South East Europe Media Organisation – entretiennent la collaboration avec l’EuroCOP pour organiser des formations pour les policiers sur le rôle et les droits des journalistes.

Il est nécessaire de repenser la relation entre la police et les journalistes de manière plus collaborative et moins conflictuelle. Sur le plan philosophique, l’objectif ultime des deux professions devrait être le même : œuvrer pour une société plus juste, plus transparente et plus sûre. Le terme « sécurité » devrait ici faire référence au mot anglais « safety » plutôt qu’à « security » : la sécurité sociale, le bien-être, les services aux citoyens, et pas un instrument disproportionné dominé par les peurs individuelles. Ce qui rappelle un avertissement vieux de près de 200 ans. Jeremy Bentham disait que la liberté signifie « la sécurité contre les criminels d’une part, et contre les instruments du gouvernement de l’autre ».

Cet article a été écrit en collaboration avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso Transeruopa.

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